Enregistrement du Pompier

Chorale de l'atelier André

Columbia, 78T, 1931

Note de l’auteur :

Lors de la parution en avril 2014 de cet article, qui inaugurait la rubrique Le disque du mois, j’avais écrit : « C’est aujourd’hui le premier disque dont on ait trouvé la trace, grâce au bulletin de la Grande Masse (merci Mannix…), un disque introuvable et le seul de la discographie pour lequel on ait aucune illustration. Si un lecteur de cette lettre l’a vu ou le possède, il serait sympathique de nous faire signe. »

Je peux vous dire que j’avais même quelques doutes sur l’existence réelle de ce disque. Je l’ai, depuis, trouvé ! Au hasard, sur l’internet, alors que je recherchais d’éventuelles versions du « Pompier » chantées en dehors de l’École.

Le premier disque présenté ici n’est pas à proprement parler un disque de la fanfare des Beaux-arts (qui n’existait pas encore1), mais un premier enregistrement, datant de 1931, fait au sein d’un atelier de l’École.

Annonce dans le bulletin de la Grande Masse, février 1931.

Nous sommes en 1931 et l’industrie phonographique n’est pas celle qu’elle deviendra après guerre. Le disque est en cire, il est lourd et tourne à la vitesse de 78 tours par minute. Il n’existe pas encore de pochette illustrée, et seul le macaron central identifie la nature d’un disque.

L’annonce du bulletin de la Grande Masse prévoit, pour les souscripteurs, l’envoi, avec le disque, des paroles du « Pompier ». Nous avons depuis, retrouvé cette brochure contenant les paroles (voir plus bas).

Pochette Columbia du 78T du Pompier, 1931.

Ce disque est enregistré au sein de l’École, par la chorale des élèves de l’atelier officiel d’architecture André2 et Patouillard3, présentée sur le macaron du disque comme « La chorale de l’école des beaux-arts ».

Elle dirigée pour l’occasion par Marcel Chailleux dit Cecel4. Les noms des autres participants nous sont inconnus à ce jour.

L’orchestre qui accompagne la chorale est dirigé par Armand Bernard, connu d’abord comme acteur puis comme chef d’orchestre et compositeur. Il a participé dans les années 30 à bon nombre de musiques de film de René Clair, Julien Duvivier, René Guissart, Yves Mirande.

Annonce dans le bulletin de la Grande Masse, mars 1931.

Ce disque sort sous le label Columbia5, grande marque de disque à l’époque, ce qui parait exceptionnel pour un tel enregistrement. L’annonce du bulletin de la Grande Masse de mars 1931 montre à quel point cela parait improbable.

Nous trouvons sur ce 78T, un morceau par face.

Face A

Macaron de la face A, « Le pompier ».

La face A reprend bien évidemment « Le Pompier6 », sous titré «  Hymne officiel de l’École Nationale des Beaux-Arts », dont nous n’aurons pas l’outrecuidance de rappeler ici l’histoire et les paroles.

Cette version est harmonisée et arrangée par Pierre Berri, qui m’est inconnu, et dont je n’ai pas retrouvé la trace.

Nous connaissons tous la version harmonisée et arrangée par Jeanne Leleu en 1925. Celle-ci est donc différente.

De même, les puristes, adeptes d’harmonie et de mesures, remarqueront que cette version est fidèle à toutes les partitions connues. Elle n’a pas encore souffert des déformations dues à la tradition orale qui ont eu lieu ensuite – dont cette fameuse faute de mesure dans le refrain, qui saute un temps entre « Ça fait presque un guerrier » et « Ça leur donne des airs vainqueurs ».

Si la chanson originale comprend cinq couplets, la version chantée ici est quelque peu tronquée et ne comprend que quatre couplets7.

Les premier et deuxième couplets correspondent à peu de choses près à notre version bien connue. Mais ici, le troisième couplet reprend les quatre premières strophes du couplet n° 3 et enchaine directement sur les quatre dernières du couplet n° 5. Ce qui nous donne :

On sait que chacun sur la terre
A son faible ou sa passion,
Le pompier n’est qu’un militaire
Est fier de sa position.
S’il porte un casque sur la nuque
C’est pas pour faire des embarras,
C’est pour garantir sa perruque
Quand bien même il n’en aurait pas.

En revanche, le chant finit classiquement, avec le traditionnel « La-la-lala-lala, la-la-lala-lala… » censé signifié la fin de la chanson.

Comme l’indique la Grande Masse dans son bulletin de février 1931, « il est joint au disque » la partition « Le Pompier, édité par Sam-Fox, en grand format avec couverture illustré. »

Nous avons retrouvé cette partition8 :

Double page de la partition du Pompier.

On notera que l’enregistrement ne suit pas exactement le déroulé de la partition.

Ainsi, l’ordre des couplets n’est pas le même, et la chorale chante dans l’ordre suivant : n° 2, n° 4 , puis n° 1. Ce qui correspond, en toute logique, à l’ordre des couplets de la version chantée encore aujourd’hui dans les ateliers de l’École.

Par ailleurs, cette partition de 1931 souligne également que Le Pompier est l’« Hymne national des Beaux-Arts » !

Face B

Macaron de la face B, « La femme du roulier ».

Sur la face B est enregistrée « La femme du roulier ».

Cette chanson fait partie du répertoire des chansons réalistes, une chanson à texte (!) sur les malheurs de la femme trompée d’un roulier. Le roulier est au XIXe siècle un voiturier transportant des marchandises, on dirait aujourd’hui un chauffeur-routier.

Je vous joints les paroles de cette bien triste et banale histoire. Les paroles ci-dessous sont celles retranscrites depuis le disque. Elles sont différentes de la version de 1939 chantée par Marie Dubas9 – qui les avait transformées. Elles s’éloignent également de la version du paillardier de la Grande Masse10, mais cette chanson connait beaucoup de variantes.

La femme du roulier

Il est minuit, La femme du roulier
S’en va de porte en porte, de taverne en taverne,
Pour chercher son mari, tireli,
Avec une lanterne !

Charmante hôtesse, avez-vous vu mon mari ?
Elle lui répondit, il est dans la soupente
En train de tirer son coup, tirelou,
Avec notre servante !

Cochon d’ivrogne ! Pilier de cabaret,
pilier de cabaret, tu t’soules et fais ripaille
Pendant que tes enfants, tirelan,
Sont couchés sur la paille !

Ta gueule, ma femme, ta gueule, tu m’fais chier,
Dans la bonne société, est-ce ainsi qu’on se comporte ?
J’te fous mon pied dans l’cul, tirelu,
Si tu n’prends pas la porte !

Ah mes enfants, mes chers petits enfants !
Plaignez votre maman, vous n’avez plus de père
Je l’ai trouvé couché, tirelé,
Avec une autre mère !

Il a bien fait, répondirent les enfants
Il a bien fait d’coucher avec la femme qu’il aime,
Et quand nous serons grands, tirelan,
Nous en ferons tous de même !

Cochons d’enfants, sacrés cochons d’enfants !
S’écria tout à coup la bonne mère en colère.
Vous serez tous cocus, tirelu,
Comme le fut votre père !

Le disque sort donc en 1931, sous le label Columbia DF478, n°L2891/92. C’est un microsillon de 25 cm, 78 tours.

Nous parlerons le mois prochain d’un autre 78 tours, enregistré par le Comité du Bal des 4’Z’Arts en 1954.

Écoute

Vous pourrez écouter ce disque sur ce lien.

Notes et références

  1. Lire à ce sujet le truculent article de notre ami Christophe "Mannix" Samoyault-Müller sur « Les fanfares des Beaux-Arts » dans la rubrique Brèves historique du site de le Grande Masse.
  2. Pierre André (1860 - 1930), admis en 1878 à l’atelier officiel d’architecture Louis-Jules André - son père. Diplômé en 1883. 1er Grand prix de Rome 1885. Chef d’atelier libre de 1900 à 1919, puis de 1919 à 1930, de l’ancien atelier officiel Guadet et Paulin, situé dans l'ENSBA au 17 quai Malaquais. Pierre André a la réputation d’avoir été très apprécié de ses élèves.
  3. René Patouillard-Demoriane (1867-1957), admis en 1883 dans l’atelier Garriguenc, puis Ginain. 1er Grand prix de Rome 1895. Il succède à Pierre André comme chef d’atelier officiel d’architecture de 1931 à 1937.
  4. Marcel Chailleux (né en 1906), dit Cecel, admis en 1925 à l’atelier officiel d’architecture André. Membre de la Grande Masse en 1929. Diplômé en 1933
  5. Columbia est une maison de disque américaine fondée en 1889. C’est elle qui introduit, au cours des années trente, les premières pochettes illustrées. Depuis, Columbia est passé sous le pavillon de la société Sony Music.
  6. Voir les excellents article d’Isabelle Conte et Christophe "Mannix" Samoyault-Müller sur l’origine de la chanson du Pompier et son arrivée aux Beaux-Arts dans la rubrique Brèves historiques du site de la Grande Masse.
  7. Voir aussi l’éclairage proposé par Emmanuel Sallès dans l’article sur les paroles de la chanson dans la rubrique Brèves historiques Le Pompier (3/3), les paroles de la chanson.
  8. Merci à M. Pierre VILLARD, lecteur de cette rubrique qui nous a écrit après avoir retrouvé cette partition dans son grenier. Elle appartenait à sa grand-mère qui avait été élève aux Beaux-Arts.
  9. Marie Dubas (1894 - 1972) prévient d'ailleurs : «  Moi, j' la chanterai à ma façon, vous pourrez la chanter à la vôtre, si bon vous semble... ».
  10. Bréviaire de cent chansons publlié par la Grande Masse en 1950, et dont la première chanson est bien évidement «  Le Pompier » . La table des matières de ce recueil peut être consultée sur le site référence dans ce domaine : chansons-paillardes.net.