Dans notre quête des traces phonographiques de la Fanfare des Beaux-Arts, nous avons déjà rencontré un certain nombre de disques reprenant différentes fanfares enregistrées au cours d’un évènement. En voilà donc un de plus, enregistré cette fois au cours d’un concours de fanfare.
Évidemment, lorsque nous pensons concours de fanfare, nous pensons aux joutes des fanfares de l’École, de ces mises en scènes truculentes, de ces morceaux à l’harmonie douteuse, de ces déguisements sortant des imaginations les plus débridées… Visiblement, nous n’en étions pas loin !
Lorsque j’ai écrit la première mouture de cette rubrique, mouture qui a été publiée, je ne connaissais pas grand-chose à propos de ce concours, du disque, des fanfares y participant. Mais, à la parution de cette première écriture, j’ai reçu de certains lecteurs1 des informations qui ont éclairé les circonstances de ce festival, de ce concours puis de ce disque.
En 1977, fut organisé un festival du film de la voile à La Rochelle. Visiblement, les organisateurs, le Comité International du Film de Mer, étaient composés de personnalités politiques et commerciales de la ville. L’affiche de ce festival fut réalisée par Bruce Krebs, élève de l’Unité Pédagogique d’Architecture n°6 (La Villette). Ce dernier a donc été mêlé aux réflexions du comité d’organisation qui cherchait une animation un peu plus “populaire” que le milieu du cinéma et de la voile.
Bruce Krebs, trompettiste de la fanfare des Beaux-Arts d’UP62, leur proposa alors d’organiser, conjointement au festival, un concours de fanfares. Les organisateurs adhérèrent à l’idée mais imposèrent que, parmi les fanfares retenues, il y ait au moins deux fanfares locales. Ces deux fanfares locales devaient aussi être présentes dans le disque que Krebs proposa aux organisateurs de réaliser à partir de l’enregistrement de ce concours.
Comme en atteste un article du journal l’Artimon en novembre 19793, ce festival et ce concours de fanfare seront renouvelés courant novembre de cette année. On ne sait s’il y en a eu d’autres…
La pochette est due à Bruce Krebs, elle est une parodie du Radeau de la Méduse de Géricault, mettant en scène des fanfarons naufragés dérivants vers les tours de la Lanterne et Saint-Nicolas, marquant l’entrée du vieux port de La Rochelle.
Évidemment, si l’on se contente de la lecture du verso du disque, on ne décèle que la Fanfare des Beaux-Arts de Nantes, comme fanfare d’École. Mais, la chose est plus complexe et il convient de détailler un peu mieux les noms de ces fanfares.
La “Fanfare Arbracam Le Rouge et sa bande de roulements (de Paris et de Tours)” est en fait issue de la réunion de la Fanfare des Beaux-Arts d’UP6 et de la Fanfare des Beaux-Arts de Tours.
La “Fanfare Picpus (de Bécon-les-Bruyères)” est une fanfare des Beaux-Arts de Versailles (?).
La “Fanfare de Vic-Fesansac (du Gers)” est en fait la Fanfare des Canetons.
Les “Fanfares Rochelaise” et “l’Espérance de Mireuil” sont les deux fanfares locales demandées par les organisateurs.
Bien sûr, nous connaissons déjà la Fanfare des Beaux-Arts de Nantes, née 20 ans auparavant et ayant déjà sévi sur un microsillon4. Elle se rendra aussi célèbre 5 ans plus tard en étant la première fanfare de province à gagner le concours des fanfares des Beaux-Arts après une prestation mémorable dépassant de loin toutes les velléités musicales de ses concurrentes en ne jouant surtout pas les morceaux imposés. En revanche, leur prestation fit grand bruit bien avant leur arrivée dans la cour des Beaux-Arts et profita aux parisiens ébahis depuis la Gare Montparnasse jusqu’à la rue Bonaparte…
De cette fanfare des Beaux-Arts de Nantes de la moitié des années 70, Jacques Thibault, trompettiste, livre un témoignage5 ressemblant bien à ce que sont les fanfares d’École :
«Quelques années avant de franchir pour la première fois l’École d’Architecture de Nantes, un parent architecte m’avait raconté plus d’une fois, et ce avec beaucoup de nostalgie, que “ceux des BEAUX-ARTS”, n’étaient pas des tristes, et que si par chance, un jour, je suivais cette voie, j’allais vivre des moments surprenants, inoubliables et grandioses dès lors que j’intègrerais la fanfare d’un Atelier…
La fanfare d’Archi de Nantes recrutait…La plaquette de l’École avait bien dit la vérité. Le soir venu je me rends donc, guidé par une musique désuète. En tout cas, sans rapport avec la rigueur m’ayant été inculquée durant les douze années passées au Conservatoire d’Angers.
Je découvre là, en train de s’exécuter, une demi-douzaine d’étudiants diplômables, m’annonçant que, si la relève ne se faisait pas, la Fanfare d’Archi allait tout simplement disparaître. Les instruments sont tordus et piqués, les pistons et les coulisses souvent coincés par le vert de gris, conséquences d’un entretien quasi absent desdits instruments.
Certains d’entre eux présentent même des décorations peintes à la main, tels le soubassophone et la grosse caisse dont les peaux sont recouvertes d’une fresque représentant un joyeux fanfaron offrant les formes généreuses de son postérieur …
A mon tour je me présente, sortant une trompette rutilante d’un étui impeccable, et exécute quelques gammes.
A priori ma prestation semble avoir convaincu l’auditoire et on me précise qu’une répétition aura lieu chaque semaine.
Heureux de ce premier contact et afin de progresser le plus vite possible, je demande donc s’il y a moyen de récupérer les partitions du répertoire.
La réponse est directe : « A la Fanfare d’Archi, il n’y en a pas ! ».
Avec calme et sérénité, quelqu’un me présente un carton de bière au dos duquel est dessiné avec précision une sorte de hiéroglyphe basé sur de curieux signes :
TTT – TTT – TTT – TTT – TTT – TTT – TTT – TTT – TTT – TTT – TTT – TTT – TTT – TTT – TT
Nota : Tout bon fanfaron aura bien entendu reconnu les premières mesures du célèbre morceau: « Les Flots Bleus».
On m’explique donc, à juste titre d’ailleurs, que chaque combinaison correspond à une note, et je reste donc ébahi par tant de vérité. Cependant quelque chose m’intrigue, car il manque deux éléments essentiels aux composantes de l’écriture musicale :
– le rythme
– la traduction exacte du signe.
En effet, en fonction de la pression de l’embouchure sur les lèvres et de l’air émis, tout joueur d’instrument à vent sait que la tessiture d’une note peut varier même si la position des doigts sur les pistons ou clés est inchangée…»
Le décalage entre le fanfaron et le musicien peut faire souffrir ce dernier. Espérons, pour lui, que le professeur de Jacques Thibault au Conservatoire d’Angers n’a pas réentendu son élève…
La Fanfare Arbracam Le Rouge et sa bande de roulements (de Paris et de Tours)” est issue de la réunion de la Fanfare des Beaux-Arts d’UP6 et de la Fanfare des Beaux-Arts de Tours. Romain Vitorge nous explique qu’à l’origine de cette fanfare d’UP6, « les membres fondateurs, Bruce Krebs, Jean Bescos, Jacques Lemaire et Eric Krebs créent “la fanfare des nouvôs” à UP2 au sein de l’Atelier Buci dans les années 70. Passés à UP6 dès 1975, ils créent « La fanfare d’UP6 » qui par la suite a sévi successivement sous différents patronymes : « A. Moniac et sa bande de gaz », « The Bromure Sisters », « La Clique à Couaks Association » autrement dit la “CACA” ». L’École des Beaux-Arts de Tours, en revanche, ne forme pas d’architectes, c’est une école d’arts plastiques.
La Fanfare des Canetons, bien que fanfare non “Beaux-Arts”, a régulièrement accompagné ces dernières. Elle fera entre autres, partie du fameux voyage du bicentenaire des USA en 1976.
Dans son livre6, François Didierjean nous raconte ce concours et la prestation des Canetons :
“Pierre7, notre trompette leader, nous annonça, en 77, qu’il y avait un festival naissant à La Rochelle (avant que ça ne devienne les “Francofolies”) et qu’à cette occasion il y aurait un concours de Fanfare dont le thème était “La Mer”. Nous étions au sommet de nos capacités après la tournée aux USA l’été précédent. Pierre alla trouver Monsieur Bonuto afin qu’il nous écrive un arrangement de circonstance. Il nous fournit les partitions pour chaque pupitre et nous avons dû faire de sérieuses répétitions. Déchiffrage collectif, mise en place, phrasé, équilibre des parties, du travail comme nous n’avions jamais fait. Car Bonuto avait mis le paquet. Il nous avait écrit une suite d’orchestre, à caractère symphonique, composée de l’enchaînement de sept thèmes empruntés à divers compositeurs. Tonalités transcrites, unifiées en Fa pour notre commodité et homogénéité de l’ensemble, avec passage en mineur au sixième thème. C’était déjà assez complexe car il avait savamment agencé cette suite en fonction des différents rythmes et références à la mer, thème du concours. Spécialistes ou pas, vous allez en juger.
Notre morceau de concours était composé des extraits de :
“Escales” de Jacques Ibert” en 4/4 et 3/4 – “La vague” de G. Metra, valse en 3/4 – “En Bateau” de Claude Debussy, andantino en 6/8 – “Les Sirènes” de Émile Waldteufel, mouvement de valse en 3/4 – “L ‘Angélus” de Goublier, en 3/4 et 9/8- “Chanson des Matelots” de Robert Schumann en 4/4 – et pour finir “La Mer” de Charles Trenet !
L’exécution fut correcte, l’harmonisation était belle, ça sonnait bien et nous jouions juste, le public fut enthousiaste. Bien sûr nous avons gagné.”
La Fanfare Picpus reste pour l’instant un mystère bien qu’il m’ait été affirmé qu’elle provenait de Versailles… A suivre !
Coté microsillon, la Fanfare des Beaux-Arts de Nantes joue deux morceaux traditionnels dans la fanfare des Beaux-Arts, le devenu saucisson Amsel Polka et La Marche des Petits Éléphants (ou Tango des Éléphants), ce dernier rendu célèbre par la fanfare Zava quelques années auparavant.
On notera par ailleurs que la quasi-totalité des morceaux joués par l’ensemble des fanfares ont un thème marin comme demandé par les organisateurs à l’exception de…la Fanfare des Beaux-Arts de Nantes ! A moins de chercher des jeux de mots comme Amsel de Guérande ou autre Tango des Éléphants de Mer…
Les morceaux ci-dessous sont joués par :
A- Arbracam Le Rouge
B- Fanfare Picpus
C- Fanfare de Vic-Fezensac
D- Fanfare Rochelaise
E- L’Espérance de Mireuil
F- Fanfare des Beaux-Arts de Nantes
G- Boeuf final
FACE A
- Le Bateau Lavoir (A)
- Yellow Submarine (B)
- Maman, les Petits Bateaux (B)
- Méditerrannée (B)
- Histoire Sans Paroles (C)
- Escale (C)
- Valse de la Mer (C)
- En Bateau (C)
- L’Angelus de la Mer (C)
- La Marche des Matelots (C)
- La Mer (C)
- La Foule (C)
FACE B
- Le Sous-Marin Vert (D)
- Les Gars de la Marine (E)
- Amsel Polka (F)
- Les Eléphants (F)
- Sur les Grands Flots Bleus (G)
- Dans La Vase (In The Mood) (G)
La Fanfare Arbracam Le Rouge était composée de :
- Trompettes : Christian « Kiki » Genin (8), Titine (10),
- Cornet : François Chochon (5),
- Trombones à coulisse : Bescon (12), Jack Lerouge (13), Jean-Pierre Jopo Dumontier (14),
- Alto : Jean-Louis Nenesse Laury (2),
- Basses : Romain Vitorge (3), Yannick Couvreur (4), Kikinette (6),
- Hélicon : Eric « Krubs » Krebs (7),
Banjo : Jean Ollion (1), - Caisse claire : Luc Bréguiboule (9),
- Grosse Caisse : Isabelle ou Christine (11).
La Fanfare des Canetons était composée selon François Didierjean (voir photo de presse plus haut) :
- Clarinette : Jean-Paul Berné,
- Trompettes de gauche à droite : Dany, Mon-Pote, Jean Trinque, Pierre Arnaud (leader),
- Trombones de gauche à droite : François Didierjean en haut de forme, Riri Maurens, Jean-Luc Arnaud,
- Basses et euphonium : Cathy Poni, Francis Delinière, Minou (?), Daniel Rey,
- Soubassophone : Audoux Cueillens,
- Caisse claire : Alain Da Dalt,
- Grosse Caisse (remplaçante) : Anna Bo (épouse de Didierjean).
Après quelques recherches, Xavier Cantal m’a communiqué ce qui semble être le personnel de la Fanfare des Beaux-Arts de Nantes :
- Trompettes : Gallland, Ginisty, Lefur, Mander, Thibault,
- Bugle : Lepage,
- Flûte traversière : Tranvoiz,
- Saxophones : Barney Yviquel, Le Loz Lauzevis,
- Accordéon : La Rafale,
- Trombone à coulisse : Dumontier,
- Trombone à pistons : Sussin,
- Basses : Fortin, Grolleau, Lemenach, Peleau, Rebillard,
- Hélicon : Berto,
- Soubassophone : Blanchard,
- Grosse Caisse : Gourdon,
- Tambour : Cantal,
- Cymbales : Gilou,
- Triangle : P’tit Jo,
et un certain Coco dont nous ne sommes pas sûrs de l’instrument rythmique…
Et, comme écrit ci-dessus, nous ne savons rien des fanfaristes de la Fanfare Picpus… Mais nous ne désespérons pas de trouver un lecteur qui éclaire un jour notre lanterne.
Le disque sort donc en 1977, produit par le Comité International du Film de Mer sous la référence SSP 20001, c’est un microsillon de 30 cm, 33 tours et porte le titre de « Concours de Fanfares de La Rochelle».
Ce disque n’a jamais été réédité.
Nous vous laissons ci-après l’opportunité d’écouter les deux morceaux de la fanfare sur ce lien :
Notes et références
- Merci à Romain Vitorge d'avoir éclairé ma lanterne. Vitorge joue actuellement dans la Fanfare Octave Callot, il a été membre de la fanfare d'UP6 puis d'Arbracam le Rouge. Ses documents m'ont permis de remonter à Christan "Kiki" Genin dont j'ignorais l'existence passée à la fanfare Arbracam le Rouge. J'ai pu aussi remonter aux Canetons dont Didierjean parle dans son livre.
- Surprenant de savoir qu'une fanfare existait à UP6 en 1975, tant cette école a voulu faire une réelle fracture en 1968 avec la "réactionnaire" École des Beaux-Arts et ses traditions comme la fanfare !
- Disque du mois : Carnage sur le Do - Fanfare de Nantes
- "1958-2008, 50 ans de fanfare d'archi à Nantes" - La Fanfarchi - Nantes 2008 - 200 exemplaires. Merci à René Naulleau, membre fondateur de la fanfare de m'avoir fourni cette ouvrage essentiel...
- François Didierjean, "Mémoires de trombone - récits de fanfare"
- Il s'agit de Pierre Arnaud. Quiconque est allé à la Féria de Vic-Fezansac connait Pierre Arnaud, notaire maintenant à la retraite, grand amateur d'armagnac et de fanfare…