Otello Fine Fanfare

Otello

Production Locomotive, 33T, 1978

Otello réapparait sur les platines cette année 1978 avec ce disque enregistré par la dernière mouture de la fanfare reprenant le prénom de Zavaroni. Mais 1968 est passé par là et si quelques membres issus de l’atelier Zavaroni ont gardé le nom, cette formation n’a plus rien à voir avec l’atelier. Ce dernier a d’ailleurs retrouvé sa propre fanfare d’atelier sous le nom de Fanfare Zava1.

Dans son livre2, Véronique Flanet, à propos des fanfares qui s’évadent de l’Ecole dans la tourmente post 68, raconte ainsi la nouvelle formule d’Otello :

“D’autres, comme Otello, se recomposent avec des morceaux de fanfares sur d’autres critères que l’appartenance à un atelier, sur des opportunités, pour le plaisir de jouer avec de nouvelles connaissances. On se met à penser en termes autres que l’atelier ou le territoire.
Une des belles recompositions de l’après 68 fut celle des Otello deuxième version qui regroupa les Bobarkk issus des Arts Déco, la fanfare de l’atelier Marot, quelques peintres et sculpteurs, plus des personnalités éparses.”

C’est cette filiation qui nous fait considérer cette fanfare composée de membres issus d’horizons différents comme une fanfare des Beaux-Arts.

Michel Lécrevisse, membre d’Otello depuis la première heure3, rare rescapé et membre émérite du nouvel Otello présente ainsi l’histoire de cette nouvelle aventure :

“Otello Fine Fanfare, il n’aura échappé à personne que ça s’abrège OFF. En couverture, il y a peu de symboles, mais ils sont forts, inspirés par la grande injection d’EPO qu’a reçue Otello après Mai 68 et la ringardisation des fanfares. Ce qui restait d’Otello répétait n’importe où et surtout sur les trottoirs car il n’était plus question de rester à l’Ecole des Beaux-Arts. C’est en marchant sur le pavé parisien qu’Otello a rencontré les Bobarkk, nom tiré du numéro de téléphone de la maison qu’ils louaient à Asnières4.”

C’étaient quatre anciens des Arts Déco qui partageaient le répertoire des Beaux-Arts et avaient le leur propre.
À l’instar des trois mousquetaires, on pouvait les distribuer ainsi :

  • Athos, Daniel Crochet à la basse puis au jazzoflûte (Turluciphone),
  • Porthos, Christian Bonvalet à la basse voire contrebasse,
  • Aramis, Michel Blanc-Garin, à la trompette et au bugle,
  • D’Artagnan, Thomas Vago, à la trompinette, drôle, impertinent, ingérable, disparu trop tôt lors d’un fait divers à Hossegor.

Pour Richard Besse :

“Juste à dire que cette fanfare accueillait les provinciaux et qui voulait venir (notamment Vivi Vignerte, l’excellent trompettiste basque du début des Pistons) ; avec une manche à Montparnasse tous les jeudis soirs à laquelle je participais assidûment tout en faisant partie des WAB2. La musique était très inégale et parfois puissante et pleine d’inventions d’impros.”

Et Philippe Lapeyre d’écrire :

“Pour ce qui me concerne, j’ai rejoint en effet la fanfare Othelo5 en 1975, à peu près un an avant les États-Unis6, amené par Laroze, effectivement depuis Loulou Bastringue, ma première fanfare. 

Pas de répétitions chez Othelo, on apprenait les nouveaux morceaux au fur et à mesure le jeudi soir à Montparnasse lors de la manche hebdomadaire, que nous allions ensuite boire au bistrot qui est maintenant un bar à huitres, à l’angle des bld Raspail et Montparnasse. Tout cela était dirigé par Michel Lecrevisse assis sur sa caisse de bières. Donc entre 75 et 77, nous faisions la manche avec Bastringue tous les matins du mardi au dimanche et nous allions tous les jeudi soir à Othelo, ainsi qu’aux contrats divers qu’Othelo décrochait. En 1978 ou 79, j’ai été transféré chez Piston Circus (pour quelques millions de dollars), et j’ai petit à petit perdu de vue Othelo…”

Pour Michel Blanc-Garin :

“L’aspect mercantile de nos prestations n’était pas négligeable. Sur les conseils de Lécrevisse, j’ai fait partie de ceux qui se sont inscrits volontairement à la Sécurité Sociale en tant qu’Intermittents du Spectacle. La fanfare ayant besoin d’un cadre, les statuts de l’« Association des Musiciens et Amis de la Fanfare otello », en abrégé (sic) « Fanfare Otello », ont été déposés à la Préfecture. 

L’article 2 la présentait ainsi : « Cette association a pour but de perpétuer et enrichir la musique folklorique estudiantine, et de favoriser les activités culturelles, sociales et de loisirs de ses membres. ». Lécrevisse était trésorier, Vago président. J’en fus secrétaire. 

Inutile de chercher une liste de « membres ». Si la structure existait en nom, aucune carte d’adhérent ne fut imprimée. Ootello avait la propriété de se régénérer spontanément, je garde le souvenir de passagers admirables à bord : Popaul (trombone) dissident de Piston, et Le Masne (saxophone alto), – deux musiciens qui par la suite, allaient chacun constituer leur propre groupe.”

1978 : Fanfare Otello "Fine Fanfare" - pochette recto
Recto de la pochette

La pochette est due au crayon de Michel Bridenne que chacun, ici, connait, tant il reste fidèle encore aujourd’hui aux fanfares, venant régulièrement aux concours et autres fêtes.

À propos de la pochette, Lécrevisse nous écrit :

“Thomas Vago… C’est d’ailleurs la figure centrale de la couverture dessinée par Michel Bridenne qui faisait partie de cette bande d’allumés. Il n’a pas oublié de mettre un casque de pompier en bas à droite en référence aux Beaux-Arts. Les deux petits personnages reliés par “fine fanfare” symbolisent les improvisations que nous recherchions tous ensemble pour mieux harmoniser nos morceaux.
Et le petit oiseau du haut, direz-vous ? Ben, c’est la poésie.”

Esquisses préparatoires de Bridenne pour la couverture d'Otello Fine Fanfare
Esquisses préparatoires de Bridenne pour la couverture d'Otello Fine Fanfare

Esquisses préparatoires de Bridenne pour la couverture d’Otello Fine Fanfare 7

Et précisions de Blanc-Garin :

“Si la face de la pochette est de Bridenne, le verso est de Crochet. On peut y lire le nom des participants et bien qu’il se soit excusé, Chmitou n’était pas le seul absent. Il n’aurait pas été impertinent (comme aurait pu le dire Fifre) d’en faire la liste : le gotha des fanfares jouait « avec » Otello (et vice-versa !).”

1978 : Fanfare Otello "Fine Fanfare" - pochette verso
Verso de la pochette composé par Crochet

Philippe Lapeyre :

“J’ai bien sûr participé au disque, qui s’est déroulé en deux parties : le matin, morceaux propres et à jeun, l’après midi, morceaux conduits par un Vago totalement pompette. Mais le tout représente bien ce que fut Othelo à cette époque.”

Besse :

“J’étais aussi à l’enregistrement du disque ; le matin : face 1 à jeun avec des morceaux assez propres séparés et l’après-midi alcoolisée face 2 avec des morceaux à la suite (spécialité de cette fanfare pour les enchaînements) sous la direction de Michel Lécrevisse au marching trombone.

Les photos des participants sont sur le dos de la pochette avec quelques phénomènes musicaux : pépé Crochet au jazzo flûte – dans la tradition d’un certain “Buze” que j’avais vu jouer du jazzo flûte par le nez en 1976 dans le jardin des Tuileries après le concours.

il y avait aussi quelques membres des Loulou Bastringue (enregistrement remarquable – petit groupe hors Beaux-arts) : Philippe Lapeyre (tb), Moza Pop vraie batterie, son frère La Rose (tpt puis souba) et pendant quelques temps [Pol] le trompettiste déjanté surnommé Le Belge.”

Blanc-Garin pendant l'enregistrement du disque
Blanc-Garin pendant l'enregistrement du disque

Quant à Michel Blanc-Garin, il nous décrit cette histoire ainsi :

“C’était un hasard si j’étais à Paris deux ans plus tard, en novembre 1978, pour un enregistrement annoncé très peu de temps auparavant. C’est une formation de circonstance, probablement constituée le jeudi qui précéda la séance qui fut réunie.
Pour certains, y participer fut un exploit, Vivi que j’ai interrogé sur cet épisode l’été dernier, m’a raconté sa version. Apprenant la nouvelle la veille au Pays basque, il avait traversé la France de nuit à moto, vêtu d’un seul ciré jaune dans le froid, pour arriver transi le matin, à l’heure au studio.

Yves Vignerte était sans égal pour faire sonner les airs mexicains, les espagnolades, « Toca toca la guitarra Manuel » au bon moment ! La « battle » toute en tendresse, qui nous opposa sur « Mon Homme », pendant l’enregistrement est mon meilleur souvenir, par chance elle est restée gravée.
Hormis ce moment, j’ai passé la journée sous un casque de retour que l’ingénieur du son n’avait pas jugé utile de brancher pour nous. Le tout était pris en stéréo, de loin, et en une prise. La salle d’enregistrement était sombre et sentait le moisi. Le boui-boui le plus cra-cra aurait été plus chaleureux et au moins, on aurait pu y prendre un café.

L’ambiance n’y était plus entre Vago et moi. Houchang se souvient lui, d’une foire d’empoigne du côté des contrebasses. L’après-midi, la boisson a un peu réchauffé l’atmosphère. Tout fut alors enregistré en une prise en enchaînant les morceaux.
Bien que les morceaux ressortissent essentiellement de montages collectifs, le nom de Tugudu manque sur la pochette pour ses arrangements sur « Le siffleur et son chien, Le Troisième Homme » qui constituaient le son Otello avec « Le Pas des Patineurs et La valse Perce-oreille ». Hormis « Amour Castagnettes et Tango » tous les morceaux joués étaient anciens.
Je ne sais pas s’il est enregistré sur le disque, mais « Tiger Rag » comportait un collage comme « La petite musique de Nuit » sur « La musique à Papa »8. Mené au pas de course, seul peut être, Pol Le Belge (tpt en Ut), absent ce jour-là, pouvait improviser dessus, sinon c’était toujours trop long. Lécrevisse coupait court aux errances avec « Maréchal nous voilà ». Le rire était assuré…”

1978 : Fanfare Otello "Fine Fanfare"

Coté microsillon, la fanfare Otello nous offre un éventail varié de morceaux peu enregistrés jusqu’alors. On notera une première avec Y’a d’la Joie qui va devenir un saucisson, le paso Buccaro, très joué par les fanfares par la suite et malheureusement oublié aujourd’hui ou encore les incontournables Orpheo Negro et 8 1/2 (création d’Otello de l’époque Zavaroni), les saucissons La Caissière du Grand Café et Les Grands Flots Bleus.

Au milieu de cela, quelques morceaux originaux et très peu repris comme Mon Homme, Le Siffleur et Son Chien ou encore Le Troisième Homme, des morceaux qui auraient mérité d’avoir une carrière plus longue et que l’on doit à l’arrangement de Tugudu qui joua un certain temps avec Otello. Enfin, une attention particulière pour Amour, Castagnettes et Tango dont l’interprétation mérite une écoute attentive notamment pour le jeu partiel à contretemps de Larosa au souba.
Tout a été écrit ci-dessus sur la manière dont a été enregistré ce disque et je n’y reviendrai donc pas sauf pour assurer que l’on est bien là dans l’esprit des fanfares. Pour avoir fait quelques remplacements à l’hélicon dans cette fanfare, je peux assurer qu’il y régnait une ambiance particulière et bien différente des pures fanfares Beaux-Arts des écoles d’architecture. Lécrevisse écrit d’ailleurs : “On voit là le rôle social évident d’Otello qui, sous des couverts libertaires voire anarchisantes, a permis, grâce à cette musique, des unions fécondes…”

J’ajouterai que pour les fanfarons arrivés à la fin des années 70, ce disque a aussi été un disque culte, cinq années étaient passées depuis le monument d’Octave Callot et Bonaparte Visconti en 1973.

FACE A

  1. Y’a d’la Joie
  2. Amour, Castagnettes et Tango
  3. Le Troisième Homme
  4. Le Siffleur et son Chien
  5. Buccaro9
  6. 8 1/2 Castagnettes et Tango

FACE B

  1. Tiger Rag
  2. La Caissière du Grand Café
  3. Mon Homme
  4. Manha De Carnaval (Orfeu Negro)10
  5. Sur Les Grands Flots Bleus

Les morceaux ci-dessus sont joués par :

  • Trompettes : Thomas Vago, ‘Vivi’ Vignerte, Christine ‘Mémé’ de Beauchêne, ‘Chonchon’ Chochon, Houchang, Michel ‘Mimile’ Blanc-Garin
  • Sax Soprane : Richard Besse,
  • Sax Tenor : Vigouroux,
  • Jazzoflûte : Daniel ‘Pépé’ Crochet,
  • Trombones à pistons : ‘Fiphi’,
  • Marching-trombone : Michel Lécrevisse,
  • Trombone : Philippe Lapeyre,
  • Basses : Florence, Germain, Daniel ‘Pépé’ Crochet, Olivier ‘Glandu’ Bremont, Giovanni, Josiane ‘Bibiche’ Bonvalet, Christian Bonvalet, Sophie de Beauchêne, Michel Bridenne,
  • Contrebasse mib : Johny ‘John Y’ Roy,
  • Souba : Philippe ‘La Rose’ Larosa,
  • Caisse claire : ‘Poupougne’
  • Grosse caisse : Michel ‘Moza Pop’ Larosa
  • Banjo: ‘Schmitou’ Schmitt (absent lors de l’enregistrement…)
1978 : Fanfare Otello "Fine Fanfare"
- 1er rang de gauche à droite : Johny (Alain Roy), Bonvalet sans sa Bibiche, Mozapop (Michel Laroza), Germain, Glandu (Olivier Grémont)
- 2ème rang de gauche à droite (debouts) : Michel Lécrevisse, Ph. Lapeyre, Laroze (Ph. Laroza), Michel Blanc-garin, Luc Lemasne, Vago. Othello vers 1976/77... en tout cas à l'époque de l'enregistrement du disque. Contrat course de vaches landaise en région parisienne (si, si, c'est vrai !).
Source et photo : Laroze

Le disque sort donc en 1978, produit par Locomotive sous la référence LOCO 01, c’est un microsillon de 30 cm, 33 tours et porte le titre de « Otello, fine fanfare ».

D’après Lécrevisse, « ce disque est le premier de la collection LOCO que voulait lancer Pierre Barouh avec des musiques décalées. Il y avait peu de moyens, le studio d’enregistrement, à Roissy, était très très moyennement équipé et il y avait souvent des manques… » Nous ne savons pas s’il y eut d’autre disque dans cette collection.

Blanc-Garin précise : “Il aura fallu 45 ans pour que j’apprenne que Pierre Barouh était le producteur du disque. Houchang m’a dit que le contrat qui nous liait à la maison de production privait la fanfare du droit d’exploitation de l’enregistrement sonore référencé LOCO 01. De mémoire 300 exemplaires ont été réalisés, dont beaucoup avec des défauts de pressage11.”

Ce disque n’a jamais été réédité.

Nous vous laissons ci-après l’opportunité de l’écouter sur ce lien :

Notes et références

  1. Disque du mois : Plus jamais ça, Fanfare Zava, 1974
  2. Véronique Flanet - La Belle Histoire des fanfares des Beaux-Arts 1948-1968 - Edition L'Harmattan -2015. page 187
  3. Disque du mois : Et la réforme Patron ?, Fanfare Otello, 1964
    Disque du mois : Otello et sa Fanfare des Beaux-Arts à la pêche, 1965
    Disque du mois : La fanfare des Beaux-Arts chante le Pompier et la Marcolite, Fanfare Otello, 1966
  4. Il nous parait opportun de préciser pour les plus jeunes qu'à l'époque des dinosaures de fanfare, les téléphones n'étaient pas portables, qu'ils avaient des cadrans tournants et que ceux-ci comprenaient des lettres qui par groupes de 2 ou 3 étaient équivalents à certains chiffres ( 2 = ABC, 3 = DEF, jusqu'à 9 = WXY et 0 = OQ)
  5. On notera que l'orthographe d'Otello pose problème aussi bien sur le macaron du disque lui-même « Othello », que sur la pochette « Otello », qu'ici Philippe Lapeyre qui l'écrit « Othelo ». Dans le disque "les Beaux-Arts à la pêche", Lécrevisse parle déjà de ce sujet. Soyons clair, la véritable orthographe est bien OTELLO qui est celle du prénom de Zavaroni.
  6. Voyage aux États-Unis en 1976, organisé par la Grande Masse et quelques intervenants à l'occasion du bicentenaire de la constitution des États-Unis, voyage qui regroupa autour de 135 fanfaristes. Cette tournée américaine fera l'objet d'une rubrique que nous vous préparons.
  7. Merci à Michel Bridenne de nous avoir communiqué ces dessins préparatoires.
  8. Cet arrangement n'est pas celui enregistré !
  9. Titre manquant sur la liste des morceaux sur le verso de la pochette
  10. Titre manquant sur la liste des morceaux sur le verso de la pochette
  11. Je confirme de réels défauts dans le sillon sur les deux exemplaires que j'ai…