Avec ce troisième « disque du mois », nous rentrons vraiment dans le vif du sujet. Il s’agit sans aucun doute du premier disque d’une fanfare des Beaux-Arts (d’une fanfare d’atelier d’architecture).
Une idée saugrenue à l’atelier Beaudoin
Nous sommes en 1953, dans l’Atelier Beaudoin où fut créée la Fanfare Léon Malaquais. S’il n’est pas l’objet de cette rubrique de raconter l’histoire des fanfares des Beaux-Arts, notons tout de même que cette merveilleuse fanfare n’était pas la première. Rendons à Orphée ce qui appartient à Madelain, atelier dans lequel fut fondée la première fanfare en 1948, notamment par André Roux. Cela dit, ce dernier reconnait qu’il avait entendu auparavant trois élèves de l’atelier Expert, l’un en maillot rayé et chapeau melon, jouer (« ils étaient ridicules, mauvais… ») en 1947 lors d’une conférence de Richard Neutra, ce qui lui donna l’idée et l’envie de monter une fanfare. La fanfare de l’atelier Madelain deviendra vers 1954, avec la nouvelle génération de l’atelier, la Fanfare Octave Callot. Après, c’est toute l’Histoire…
La Fanfare Léon Malaquais est sans doute la plus marquante de notre histoire et on lui doit aussi ce qui fera pendant bien des années le principe des noms des fanfares. Dans « L’Amour du Bruit1 » n°6, Pierre Venencie dit Mâchon raconte :
« Nous avons pris le nom de Fanfare Léon Malaquais, du nom du quai, adresse de l’école, et du prénom du garçon de café de notre bistro préféré. »
Des années plus tard, les fanfares continueront à prendre pour nom celui de la rue de l’atelier le précédant d’un prénom choisi au gré de leur rencontre, soirées de bistrot ou toute bonne raison aussi absurde l’une que l’autre.
Ce premier disque est né à l’atelier, comme souvent en partant d’une idée saugrenue comme le relate Mâchon :
« Pour conserver un souvenir de cette joyeuse époque que nous ne pensions pas éternelle, l’un d’entre nous (peut-être Mâchavoine), qui avait un ami dans les métiers du disque, organisa une séance d’enregistrement.
Je me souviens toujours de cette séance, lorsque nous nous sommes trouvés dans le studio. Alors que nous étions habitués à jouer spontanément dans un joyeux chahut, il fallait là, faire le silence, guetter la lumière verte qui allait nous donner le signal du départ. Nous étions complètement contractés, figés, et notre premier essai fut catastrophique. Le responsable comprit notre blocage et envoya un coursier chercher une caisse de vin. Bientôt notre trac disparut, les lumières rouge et verte perdirent de leur importance, la spontanéité réapparut, et enfin, l’ambiance revenue, l’enregistrement fut convenable.
Ce disque, « Petite musique de charrette » au recto et « Petite charrette de musique » au verso, que nous avions tiré à faible nombre d’exemplaires, pour nous et quelques amis, fut si rapidement épuisé, qu’il nous fallut faire un second tirage pour satisfaire la demande. »
500 exemplaires en deux tirages
Ainsi donc ce disque, financé par une souscription, a été pressé à 500 exemplaires. Un premier tirage de 250 exemplaire épuisés le premier soir (il est dit qu’ils ont été vendus en moins de trois heures), suivi dans le mois suivant d’un second tirage de 250 exemplaires.
Le disque sort sous le label Voxigrave n°V6684, c’est un microsillon de 25 cm, 33 tours. Il porte le double titre de « Petite musique de charrette – Petite charrette de musique ».
Dans ce disque, la fanfare porte le nom de Léon Malaquais and his Orchestra. Il faudra un jour que je demande aux Léon Malaquais dont la mémoire est intacte la raison de ce nom américanisé qui ne réapparaitra pas ensuite. Effet de mode, sans doute. D’ailleurs, à propos de mémoire, les Malaquais interrogés ne sont plus bien certains si ce disque est sorti en 1953 ou 1954 !
Soyons précis, la face A est en fait « Petite charrette de musique » et porte la référence M854. La face B est « Petite musique de charrette » et porte la référence M855.
Face A
- El paso-doble
- La valse des patineurs
- Les roses
- A média luz
- Le corso blanc
- Däs landler
- La matchiche
- Jean-Gilles
Face B
- Sous l’aigle double
- Sous les ponts de Paris
- La valse du 14 Juillet
- Tzéna – Tzéna
- T’as qu’à « ra boum die » !
- La petite Marie
- Ein Ständchen
- Caroline
- Marguerite
Le recto de la pochette présente une photo d’un biniou dans un état digne des fanfares de l’époque et avec, en filigrane sur ce qui semble être une grosse caisse, le profil d’Eugène Beaudoin (information due à Blaire), les deux titres se faisant face.
Le verso de la pochette est illustrée d’un dessin de Barincou représentant les fanfarons de Malaquais en chapeau melon ou canotier, vêtus de la marinière qui deviendra pendant plus de trente ans la tenue de la Fanfare des Beaux-Arts (bien avant qu’elle ne devienne le symbole de certain ministre…). On note dans ce dessin la présence de fanfaristes non présents sur le disque mais membres éminents de l’atelier Beaudoin comme Andrault, Parat ou Lamoise (de l’Académie d’Architecture).
Ont participé à ce disque :
- Trompette : Gilles Thin (dit Gaston Trifloquet), Bernard Louyot (dit Gaëtan Lafleur), Michel Dougnac, Dussart.
- Cornet : Alain Villeminot (dit Adrien Lharidelle), Pierre Soulez-Larivière (dit Blaise Mac Hulot), Pierre Venencie (dit Mâchon), Philippe Manot (dit Mon Noeud ).
- Trombone : Jean-François Leleu (dit Yapakloss Kikouliss), Michel Vincent (dit Léon Malaquais).
- Clarinette : Paul Diaz (dit Ali ben Diaz).
- Basse : Michel Vincent (dit Léon Malaquais), Geleff, Pierre Venencie (dit Mâchon), Gérard Basso (dit Cuicui).
- Hélicon : Jean Tribel (dit Honoré Boudu), Jean Mereau.
- Jazzoflûte : Michel Fourtané (dit Laridelle Ainé).
- Grosse Caisse : Georges Loiseau (dit Alexandre Machavoine), Robert Csali (dit Père Mathieu).
- Batterie sur certains morceaux : Claude Marty.
- Impressario… : Michel Day (dit Onésime Huchepot ou Le Gros).
On en parle
Dans « L’Amour du Bruit » n°11, Louis-René Blaire (dit Honoré Champion), se livre à une intéressante critique musicale du disque, point de vue que je me permets de reproduire ici :
« Que penser de ce microsillon, 25 cm, 33T, presque soixante ans après ?
Je l’avais découvert après le n° 2, « Bal aux Beaux-Arts ». Malgré mes réticences à ma première écoute, vers 58 ou 59, je dois dire que je pense le plus grand bien de ce monument, avec ses défauts, ses hésitations, ses approximations, ses loupés.
C’est un instantané très fidèle de ce qu’était une bonne fanfare, la fanfare la plus importante et la plus célèbre de l’École, à cette époque. Quelques loupés, ce qui après tout, n’est pas anormal de la part d’une formation qui n’a pas derrière elle une très longue existence (3 ans environ). En particulier sur les valses à 3/4 au tempo trop lent comme les « Ponts de Paris », assez désastreux, ou sur cet interminable tango « A media Luz ». Par contre, quelques bijoux qui valent le détour et annoncent clairement les ambitions de la fanfare : El Paso-Doble, La petite Marie, Sous l’aigle double, T’as qu’à raboum dié, ou Caroline-Marguerite, et même un Corso blanc de belle facture, tiré énergiquement par les trompettistes vedettes Trifloquet et Lharidelle, véritables locomotives de la formation.
Il sera intéressant de faire la comparaison de certains des morceaux (Jean-Gilles, l’Aigle Double, T’as qu’à raboum, Caroline Marguerite), avec les mêmes thèmes, également enregistrés dans le disque suivant « Bal aux Beaux-Arts ». Ces tubes, déjà bien présents dans ce 25 cm, vont subir un lifting au kérosène dans le suivant, témoignant des progrès et de la vitalité de cette formidable fanfare… »
Merci aux intervenants de « l’Amour du Bruit », notamment Mâchon et Honoré Champion pour leur aimable autorisation involontaire d’utiliser leurs propos et la copies des articles de presse ci-dessus.
Le mois prochain, nous parlerons du premier disque que la Fanfare Léon Malaquais enregistra chez Pathé-Marconi, celui que tous pensent être le premier disque et qui sera le point de départ d’une longue série, « Petite musique de Charrette » ayant été plutôt confidentiel.
Écoute
Vous pourrez écouter ce disque en vous rendant sur ce lien.