« A l’atelier Lemaresquier(en 1963), je suis de plus en plus déçu par l’enseignement. Certes je touche à tous les projets que je rends et je ne devrais vraiment pas me plaindre. Mais je me rends compte que les corrections du Patron concernent essentiellement le rendu, l’image que nous présentons au jury, un peu comme s’il s’agissait d’une belle affiche, mais peu le bon fonctionnement du bâtiment étudié et absolument pas ses volumes, puisque aucune maquette ni perspective n’est jamais demandée. J’ai le sentiment que ce n’est pas parce que j’aurai fait une École, si brillante soit elle, que je serai réellement prêt à exercer mon métier. Lors d’une conférence faite par Candilis, Josic et Woods, que j’ai invité à venir présenter le concours du Mirail qu’ils viennent de gagner, je suis particulièrement séduit par leur approche de l’architecture. lls ont étudié ce projet de plusieurs centaines de logements sociaux, qui seront situés dans la banlieue de Toulouse, en ne pensant qu’à leurs futurs habitants aux modestes revenus et absolument pas à l’image du plan masse, c’est-à-dire l’ensemble vu d’avion, qui est notre souci majeur dans nos projets scolaires. lls ont étudié dans le moindre détail l’agencement des pièces de chaque appartement, en pensant à la mère de famille dans sa cuisine, au coin salon pour les adultes, à un espace de jeu pour les enfants, au cheminement entre chaque immeuble et les équipements proches, écoles, commerces, etc… et en ménageant de grands espaces verts, bref en essayant d’offrir un cadre de vie le plus agréable possible. Quarante ans plus tard, quand on verra ce qu’est devenu cet ensemble, zone de non droit, on comprendra qu’il ne suffit pas de construire des logements de qualité pour empêcher la délinquance de ce que l’on appelle pudiquement “les jeunes”.
Mais en cette année 1963, je suis encore plein d’illusion et cette conférence m’ouvre les yeux sur la façon dont je crois devoir exercer mon futur métier.
Le samedi suivant, je demande un rendez-vous à Georges Candilis et il me reçoit très aimablement dans son agence de la rue Dauphine. Je lui propose d’être patron d’un atelier de I’École des Beaux-Arts. Après réflexion, il acquiesce et me demande à quel architecte il va succéder. Je lui réponds “à aucun”, puisque nous avons la possibilité de choisir nous mêmes les patrons des ateliers extérieurs et qu’il s’agit d’un nouvel atelier. ll me demande alors combien d’élèves nous sommes et ses yeux s’arrondissent quand je lui réponds que pour l’instant je suis tout seul. Mais, si nous nous mettons d’accord sur certains principes d’enseignement, je me fais fort d’attirer suffisamment d’élèves pour constituer un bon atelier. Je lui expose alors mes souhaits, notamment qu’aucun projet ne puisse être rendu à l’Ecole sans qu’une maquette n’ait été présentée à l’atelier, que les élèves soient obligés de compléter leur projet de construction par des devis estimatifs, alors que ces contraintes financières ne sont jamais abordées, que les ingénieurs des Bureaux d’Etudes avec lesquels il travaille participent aux corrections de nos projets et que nous organisions chaque année une visite détaillée de ses réalisations en région parisienne et en province. Non seulement il accepte avec enthousiasme, mais il nous accueille dans son agence dont il met trois pièces à notre disposition car nous ne disposons d’aucun local. Josic, également architecte le secondera, mais Woods, qui est sociologue, refuse de participer.
Dommage, car grâce à sa spécialité, il nous aurait sûrement aidés à mieux appréhender la finalité de notre fonction sociale.
Dès le lundi je placarde des affichettes dans I’École, invitant tous les élèves intéressés à une réunion d’information le samedi suivant. Et après deux réunions, nous sommes une cinquantaine d’élèves de seconde et de première classe à constituer ce nouvel atelier. J’en suis élu massier, Thierry Gruber en est le sous-massier et Michel Macary le délégué culturel. Ce jour là est née une profonde amitié, au point que nous rendrons notre diplôme tous les trois en équipe et que nous serons ensuite associés dans la vie professionnelle ».