À chaque fois les concerts sont un succès. Entre son premier concert et son quatrième concert, le Violon d’Ingres ne manque pas de prêter son concours à diverses manifestations solennelles ou caritatives.
C’est alors que la première guerre mondiale éclate. Un long vide s’en suit pour le Violon d’Ingres, et ce, jusqu’à la fondation, en 1926, de l’association de la Grande Masse des Beaux-Arts.
« Hélas, ce fut le coup de tonnerre de la guerre ! Les longues années de front, la perte des plus chers d’entre nous… la tradition rompue !
Depuis quinze ans le Violon d’Ingres ne vibrait plus ! Et tout à coup l’étincelle a jailli ! La Grande Masse de l’École s’est organisée, en 1926, sous l’impulsion de notre camarade Müller , la grande famille de l’École s’est regroupée et malgré les difficultés d’après-guerre s’est remise au travail, à l’action… ».
Henri Gautruche – 1929
La « résurrection » de l’orchestre s’opère en avril 1929. Grâce aux efforts conjugués de Paul Battail et au dévouement d’Émile Maigrot, devenu Grand Massier des anciens, et relayés en cela par le bulletin de la Grande Masse, le recrutement de musiciens parmi les jeunes de l’École reprend.
« Vraiment curieuse cette tendance que l’on a à l’École de ramener toute manifestation intérieure, à la Balade du Rougevin et au Bal des 4-Z’arts !
Combien de fois avons-nous rencontré de camarades nous abordant en ces termes : « Alors le Violon d’Ingres ? Est-ce qu’il fonctionnera pour le prochain Bal des 4-Z’arts ? » Ou encore : « Ça fera rudement chic à la Balade du Rougevin ! » Quelle pauvreté dans l’absurdité ! Il est évident que si la plupart des camarades le disent en plaisantant – heureusement – il n’en est pas moins vrai que beaucoup de musiciens capables à l’École ont des doutes et se demandent s’ils doivent prendre la chose au sérieux ou non.
Cela devient ennuyeux à la fin et il importe de combattre cette légende avec énergie. On peut affirmer que le fait d’organiser une balade ou un bal n’exclut nullement la possibilité d’entreprendre autre chose et notamment de faire de la musique d’une manière intéressante.
Répétons encore pour les sceptiques que seuls l’orchestre, avec ou sans chœur mixte, ainsi que la musique de chambre, nous intéressent. […] Car il est bien entendu que notre désir est de continuer avant tout le Violon d’Ingres de 1914 dans son esprit et dans ses traditions et nous ne souffrirons aucune dérogation à la règle de bon goût que s’étaient donnée nos anciens.
Encore un dernier mot pour prier les camarades jouant bigophone, cor de chasse, serpent, bombardou ou autre instrument de s’abstenir, ainsi que les amateurs de fanfare ou de musique légère, qui pourraient avoir une désillusion mortelle ».
Paul Battail – 1929
Le mercredi 10 juillet 1929 a lieu le « concert de la résurrection » à la Schola Cantorum, 269 rue Saint-Jacques à Paris (5e arr.). Une nouvelle fois le succès est au rendez-vous et les critiques sont élogieuses.
Henri-Jean Frossard (1872-?), critique musical, adresse le lendemain un courrier à la Grande Masse :
« Je confesse de suite que l’invitation de me rendre au concert du Violon d’Ingres m’est apparue d’abord comme une sorte d’œuvre pie, un peu de politesse, et pour tout dire… un fameux coup de rasoir.
Car, vous savez, les amateurs… Et de plus, il n’était point question d’en écrire.
C’est mon enthousiasme, suite de l’heureuse surprise, qui m’a conduit à vous dire ma pensée.
Mais, au fait, je vous l’ai dite : Enthousiasme ! Et voilà qu’ayant tout dit, je voudrais cependant faire un article, au moins pour être digne de votre choix comme critique musical.
Cependant, je ne veux point entrer dans les détails, ni comparer votre orchestre aux Grands frères, car évidemment, tout se trouve chez tous, mais enfin votre facétie normale ne va guère jusqu’à cultiver la contrebasse ou le trombone à coulisse pour en jouer lors de la première communion de vos futurs enfants, et cependant, il en faut au moins trois de chaque dans l’orchestre…
Mais vous êtes des gens de ressources et nous ne sonderons point les murs.
Disons donc nos impressions.
Début de séance un peu lent, qui indispose les auditeurs, ou mieux, qui les dispose à la critique.
Puis l’orchestre se place. Jolies jeunes femmes, jeunes gens décidés.
On n’accorde pas trop les instruments. Merci !
Et le chef d’orchestre paraît.
Ah ! ça, mes chers amis, vous savez que c’est le clou de l’affaire.
Eh bien, ce clou est au moins une broche pour charpente.
Vous pouvez être fiers de votre camarade Bagot. Car il a su vous discipliner amicalement, et on le sent sûr de vous. Et il a raison. Car vos ensembles sont tout à fait remarquables et seraient à donner en exemple à bien des professionnels.
Les douceurs sont peut-être encore un peu à soigner, mais n’est-ce pas, nous savons tous que la légèreté et la douceur sont le résultat d’un long travail que l’on ne peut demander qu’aux professionnels.
Et cependant, il faut citer et complimenter Herbé-Baret, qui a su faire chanter son violon, ce qui est mieux qu’en jouer.
Mais vous avez été impitoyables avec Monsieur Saint-Cricq qui nous avait dit « Le Repos de la Sainte Famille », comme Berlioz l’eût aimé : calme, serein, religieux, et qui, dans le chant de concours des « Maîtres-Chanteurs », avait enlevé ce morceau terrible avec un brio, une vaillance qui lui auraient assuré le prix et voilà que vous le bissez…
Je pensais qu’il allait saluer, sourire, resaluer et disparaître.
Pas du tout ! Un signe à Bagot et pan ! il repart, et aussi brillant, aussi naturel, aussi compréhensible.
Eh bien, ça ! mes enfants ! C’est un vrai ténor wagnérien, et qui sait chanter.
Bref, excellente soirée, excellente direction, excellents artistes.
Je suis sûr que plus d’un d’entre ces exécutants se félicitera plus tard de son talent.
Vous avez ajouté un lustre de plus à la renommée de votre grande École qui brille, à bien d’autres titres, d’un si bel éclat au firmament mondial.
Croyez-en un déjà vieux, continuez dans cette voie : architectes, sculpteurs et peintres, vous êtes dans la tradition, vos ancêtres grecs étaient tous musiciens et chanteurs.
Encore une fois, mes félicitations et à bientôt, j’espère ».
Henri-Jean Frossard – 1929