L’École des Beaux-Arts et ses monuments : L’entrée de l’École au 14 rue Bonaparte

ÉCOLE DES BEAUX-ARTS

De 1838 à nos jours

L’article présenté ici propose de vous intéresser à l’histoire de l’entrée principale de l’École des Beaux-Arts au 14 rue Bonaparte 1 .

Plan de l'E.N.S.B.A. avec indiqué l’entrée de l’École au 14 rue Bonaparte.

La grille d’entrée et les bustes de POUSSIN et de PUGET

Installée depuis 1807 au Collège des Quatre-Nations (Palais de l’Institut) l’École des Beaux-Arts déménage en 1830 rue des Petits-Augustins dans les locaux de l’ancien Musée des Monuments français fondé par Alexandre LENOIR (1761 – 1839), musée qui avait lui-même succédé à l’ancien couvent des Petits-Augustins. 2 Félix DUBAN (1798 – 1870), architecte de l’École des Beaux-Arts de Paris de 1830 à 1870, y réalise de 1830 à 1840 la construction du bâtiment du Palais des Études. 3 . Dans le cadre de la réalisation de ces travaux, il est procédé au mois de juin 1838 4 à l’aménagement de l’entrée principale avec la pose de la grille et de ses assises sur lesquels, telles deux sentinelles inflexibles, il est placé les deux bustes en pierre de Nicolas POUSSIN 5 et de Pierre PUGET 6 , éléments d’ornement dus au talent du sculpteur Michel MERCIER 7

Photographie du 02/05/2011 de la grille d’entrée de l’EN.S.B.A .avec les bustes de PUGET (à gauche) et de POUSSIN (à droite). / Source C.S.
Photographies des bustes de PUGET et de POUSSIN. / Source site internet paris1900.lartnouveau.com

En 1897, les bustes de PUGET et de POUSSIN, rongés par l’érosion du temps, furent déposés pour restauration. Les deux socles vides de l’entrée connurent alors une singulière aventure à l’occasion du Bal des Quat’Z’Arts qui se déroula au Moulin Rouge le 9 avril.
Ainsi, au petit matin du 10 avril, les étudiants de l’École lors du retour du Bal s’étaient donné rendez-vous pour l’inauguration de deux nouveaux bustes dus à la généreuse participation de “l’œuvre des piédestaux abandonnés” ; des cartes furent imprimées pour l’occasion.

1897 : Carte d’invitation pour l’inauguration des nouveaux bustes de la grille de l’entrée de l’École des Beaux-Arts, dimensions 10,2 x 13,2 cm. / Source collection Association 4’Z’Arts

André WARNOD 8 nous raconte la suite dans un article pertinent qu’il écrit dans la revue EROS, numéro spécial “Le bal des 4z’Arts”, en 1931 :

« [ … ] Quand le cortège arriva rue Bonaparte les nouveaux bustes étaient en place, et quels bustes !… Leur auteur était le sculpteur Moreau-Vauthier 9 qui avait dû, une nuit, se faire hisser jusqu’en haut des piédestaux pour prendre la mesure exacte des socles. Après quoi, il s’était mis à l’ouvrage dans le plus grand secret. Les bustes attendaient dans un atelier tout proche qu’on allât les chercher. On les mit en place. Quels éclats de rire et quels applaudissements quand on vit ce qu’ils représentaient. C’étaient les bustes de la Pudeur et de le Pudeur . La Pudeur était personnifiée par une femme très aguichante, au sein nu et au sourire inviteur, qui faisait de l’œil au buste, son pendant. Celui-là c’était le Pudeur, c’est-à-dire le Sénateur Bérenger 10 , qui l’œil en coulisse semblait très ému, et très tenté par les invites de sa voisine.

L’inauguration eut lieu, solennelle, et puis les rapins s’en allèrent, laissant les bustes sur les piédestaux. Le gardien-chef, très embarrassé – il était huit heures du matin – n’osa pas, tout d’abord, aller réveiller le directeur de l’École, qui était alors M. Paul Dubois 11 . Il s’y décida enfin.

Naturellement, l’exécution des bustes fut aussitôt décidée. À grand renfort d’échelles, de gardiens et de bras vigoureux, on descendit de leurs piédestaux La Pudeur aguichante et Le Pudeur aguiché et les piédestaux attendirent qu’on les couronnât d’œuvres tout de même plus classiques.

Le directeur pensait que le coupable viendrait reprendre son œuvre : il s’en garda bien. À onze heures passées, on descendit l’effigie sacrilège du responsable président de la Ligue contre la licence des rues et celle de sa compagne d’un instant. Depuis le matin, les gens qui passaient rue Bonaparte s’arrêtaient et commentaient l’évènement. Les bustes furent relégués dans quelque dépôt. Que sont-ils devenus ? Peut-être existent-ils encore… »

1897 : Retour du Bal des Quat’Z’Arts, dessin de l’entrée de l’École par Henri TOUSSAINT (1849 – 1911). / Source revue "La Construction Moderne", n°17 du 24/04/1897.

La loge de gardien de l’entrée de l’École

Indépendamment du grand portail métallique à deux vantaux servant d’accès principalement pour les livraisons, l’accès piéton des élèves et autres personnes amenées à entrer dans l’École, se fait depuis une porte métallique située à l’extrémité droite de la grille, porte qui jouxte la loge du gardien chargé de contrôler les entrées.
De taille modeste, la loge fut agrandie après 1926 par Alexandre MARCEL 12 alors architecte en chef de l’École des Beaux-Arts.

Photographie prise depuis la Cour Bonaparte de la loge de gardien, avant 1926. / Source Archives Nationales F/21/5968.
Projet daté du 1er juillet 1926 d’agrandissement de la loge de gardien, dessins d’Alexandre MARCEL (projet réalisé). / Source Archives Nationales F/21/5968.
Photographie du 02/05/2011 prise depuis la rue Bonaparte de la loge de gardien. / Source C.S.
Photographie prise en mai 2015 depuis la Cour Bonaparte de la loge de gardien. / Source site internet paris1900.lartnouveau.com
Photographie du 15/04/2025 prise depuis la rue Bonaparte de la loge de gardien. / Source C.S.

L’entrée du 14 rue Bonaparte dans tous ses états

Il vous est proposé ci-dessous de vous présenter quelques représentations de l’entrée de l’École à travers le temps.

Lithographie de Philippe BENOIST (1813 – 1896), 1861, dimensions image 25 x 36 cm . / Source collection part. CS.
Dessin de Wilbur WOODWARD (1851 – 1882) de l’entrée depuis la Cour Bonaparte, légende : "Déballage des achats de la Ville à l’École des Beaux-Arts". / Source hebdomadaire "Le Journal Illustré" du 29/07/1877, n°31.
Dessin d’Alexis LEMAISTRE (1852 – 1932), "Sous le buste du Poussin, des modèles, Italiens pour la plupart, causent, adossés à la grille, en attendant l’ouverture des ateliers". / Source livre "L’École des Beaux-Arts dessinée et racontée par un Élève", auteur Alexis LEMAISTRE, Paris, Firmin Didot, 1889.
Photographie fin 19ème siècle, auteur anonyme, dimensions 21,1 x 28,7 cm. / Source E.N.S.B.A Ph 69.
Photographie vers 1890-1900, auteur Adolphe GIRAUDON. / Source site internet de vente en ligne, vue le 05/04/2025.
Carte postale début 20ème siècle. / Source collection part. CS.
Carte postale début 20ème siècle. / Source site internet de vente en ligne, vue le 05/03/2024.
Carte postale début 20ème siècle. / Source collection part. CS.
Carte postale premier quart du 20ème siècle. / Source site internet de vente en ligne, vue le 04/03/2024.
Carte postale début 20ème siècle. / Source collection part. CS.
Carte postale début 20ème siècle. / Source collection part. CS.
Carte postale début 20ème siècle. / Source collection part. CS.
Photographie du 10/06/1931 de la Garde Noire avant la montée au Bal (thème : Le retour des vainqueurs de Salamine) prise dans la Cour Bonaparte sur le portail. / Source collection Association 4’Z’Arts.
Photographie du 23/06/1939 de quelques 4’Z’Arts avant la montée au Bal (thème : Le sac de Byzance par les Turcs, 1453) prise dans la Cour Bonaparte sur le portail. / Source journal "Paris Midi" du 24/06/1939.
Photographie en mai 1968. / Source site internet www.beauxarts.com
Photographie en mai 1968. / Source revue "L’Architecture d’Aujourd’hui" n°310, avril 1997.
Photographie ADNP , E. LAMY, prise le 27 juin 1968 après l’évacuation par la Police de l’École occupée depuis le 14 mai 1968. / Source collection part. CS.
Photographie (1969-1972) de Norbert CHAUTARD, architecte et enseignant. / Source livre "La fabrique de l'École des beaux-arts à Paris" par Anne DEBARRE et Maxime DECOMMER, 2024, Beaux-Arts de Paris éditions.
Photographie de l’AFP prise le 18/05/1970. / Source site internet de vente en ligne, vue le 09/04/2020.
Photographie juin 2012. / Source site internet Wipédia.
Photographie mai 2015. / Source site internet paris1900.lartnouveau.com
Photographie du 10/08/2024. / Source C.S.
Photographies du 15/04/2025. / Source C.S.

La guérite d’accueil à l’entrée (depuis 2022)

Depuis 2022 il est prévu que des travaux de grande ampleur occupent une grande partie des Beaux-Arts de Paris et, ce, pendant quelques années. Afin de rendre le site plus accueillant et à mieux informer et orienter les visiteurs en cette période de travaux, il a été installé dès 2022 une guérite d’accueil au niveau de la loge de gardien dont l’habillage est la création de Théo PALL et d’Olivier PÉRUSAT, deux étudiants de l’atelier Sirjacq 13 . Ce projet a été réalisé avec le soutien financier de la Fondation Antoine de Galbert.

Photographie de la guérite en 2022. / Source site internet beauxartsparis.fr/fr/actualite

En 2025, l’habillage de la guérite est remplacé par un nouvel habillage, création de François TOISON, diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2024 et étudiant de la filière Fresque & Art en situation.

« Ce projet consiste à déployer la grande peinture de Delaroche de l’amphithéâtre d’Honneur sur toute la surface. L’image a été retravaillée en trames de demi-teinte, un traitement d’image utilisé dans diverses techniques d’impressions, notamment en sérigraphie. Ce traitement permet une lecture en deux temps. Lorsque les visiteurs arrivent et qu’ils seront à proximité, ils ne verront qu’une composition graphique abstraite constituée de points bleus. Ce n’est qu’en prenant du recul et en circulant dans l’École qu’ils pourront en distinguer l’intégralité. Cette proposition est un moyen de mettre en avant un élément iconique qui symbolise l’héritage de l’École en le retravaillant pour évoquer des pratiques plus actuelles. »

Photographie de la guérite en 2025. / Source site internet beauxartsparis.fr/fr/actualite

Notes et références

  1. Depuis vers 1648 la rue s’appelait la rue des Petits-Augustins ; celle-ci était située entre le quai Malaquais, rive gauche de la Seine, et la rue Jacob. Louis Napoléon Bonaparte (1808 – 1873), alors Empereur après son coup d’état du 02/12/1851, prend un arrêté le 12/08/1852 pour remplacer les rues nommées rue du Pot de Fer, rue Saint-Germain et rue des Petits-Augustins par celle nommée « rue Bonaparte ».
  2. Concernant l’origine de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, voir l’article qui lui est consacrée dans la brève historique de juin 2015.
  3. Concernant Félix DUBAN voir l’article qui lui est consacré dans la brève historique de mai 2024.
  4. Source quotidien "Journal des débats politiques et littéraires" du 24/06/1838, page 2.
  5. Nicolas POUSSIN (1594 – 1665) est l'un des plus grands maîtres classiques de la peinture française et un exemple marquant pour les générations d'artistes qui l'ont suivi.
  6. Pierre PUGET (1620 – 1694), sculpteur, dessinateur, peintre et architecte, dès le début du XVIIIème siècle, il fut célébré comme le plus grand statuaire de son époque.
  7. . Michel MERCIER (24/10/1810 – 26/03/1891), inscrit à l’École des Beaux-arts le 02/04/1831, il suit l’enseignement de James PRADIER (1790 – 1852).
  8. André WARNOD (24/04/1885 – 10/10/1965), écrivain, critique d'art et dessinateur, il reçut une formation à l'École des Beaux-Arts et aux Arts Décoratifs avant de devenir le chroniqueur et l'illustrateur du Paris nocturne et du Paris artistique de son temps. Il est à l’origine de l'expression « École de Paris » qui est apparu dans un article publié en 1925 dans la revue littéraire Comœdia, expression qui désigne l'ensemble des artistes étrangers arrivés au début du 20ème siècle dans la capitale. Il fut également un grand admirateur et fervent du Bal des Quat'Z'Arts et du Bal de l'Internat et écrivit sur ceux-ci des grands nombres d'articles dans le journal Coemedia.
  9. Paul MOREAU-VAUTHIER (26/11/1871 – 02/02/1936), inscrit à l’École des Beaux-arts, section sculpture le 21/02/1891 dans l’atelier de Gabriel THOMAS (10/09/1824 – 08/03/1905) puis dans celui d’INJALBERT (23/02/1845 – 20/01/1933). Il est le Président du Bal des Quat’Z’Arts de 1897.
  10. René BÉRANGER (22/04/1830 – 29/08/1915), avocat, magistrat et homme politique. En 1892, alors Sénateur (depuis 1875), il crée la Société centrale de protestation contre la licence des rues et mène une campagne sévère pour le respect des bonnes mœurs, qui lui vaut le sobriquet de « Père la Pudeur ». Lors de la soirée de la deuxième édition du Bal des Quat’z’Arts, organisée le 8 février 1893 par les étudiants de l’École des Beaux-Arts de Paris, au Moulin Rouge, il y eut, en défilé, un tableau vivant consacré à Cléopâtre et ses servantes, incarnées par plusieurs modèles de l’École, très légèrement vêtues dont Marie Florentine ROYER dite Sarah BROWN (1869 – 12/02/1896). Bien que privé, cet épisode du Bal fut rapporté par voix de presse. René BERANGER, après en avoir pris connaissance, dénonça ce « fait d’une gravité extrême et d’une inadmissible impudeur » et fit poursuivre en justice, son organisateur, Henri GUILLAUME (29/07/1868 – 22/10/1929), alors étudiant architecte à l’atelier libre Laloux et les quatre modèles ayant participés au défilé pour outrage public à la pudeur. L’affaire fut jugée par le tribunal correctionnel de la Seine le 23 juin 1893 et les prévenus furent condamnés. Ils s’en suivront des manifestations et de graves émeutes au Quartier Latin restées célèbres dans les mémoires de l’Histoire encore aujourd’hui. Depuis la date de la condamnation, les étudiants de l’École des Beaux-Arts conserveront pendant très longtemps une rancœur tenace vis-à-vis du Sénateur Béranger, « Père la Pudeur ».
  11. Paul DUBOIS (18/07/1829 – 23/05/1905), sculpteur, Directeur de l’École des Beaux-Arts du 01/06/ 1878 jusqu’à son décès. Concernant les Directrices et Directeurs de l'École des Beaux-Arts, voir l'article qui leur est consacré dans la brève historique de juin 2015.  
  12. Alexandre MARCEL (11/09/1860 – 30/06/1928), élève de l’atelier officiel d’architecture Jules ANDRÉ, admission en 1877, 1ère classe en 1879, diplôme en 1882 / Logiste au Prix de Rome d’Architecture en 1882, 1884 et 1889. Architecte en Chef des Monuments Historiques, il est en charge de l’École des Beaux-Arts de 1916 jusqu’à son décès en 1928.
  13. Julien SIRJACQ (né en 1974), disciplines de peinture, sérigraphie, vidéo, son, formation à l’École des Beaux-Arts de Montpellier (1994), il est diplômé de l’E.N.S.B.A de Paris en 2000, résident à la villa Arson à Nice en juin et juillet 2011. Nommé chef d’atelier de sérigraphie à l’E.N.S.B.A de Paris en 2015, il est également responsable du département impression/édition.