Publication | Auteur |
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Avril 2020 |
Pierre-Edouard CALONI dit " Calo " |
Devait-on faire une rubrique sur des disques qui ne dépassèrent pas le stade de l'enregistrement ? Objectivement, cela n'allait pas dans le sens de cette rubrique qui se voulait matérielle, de belles envolées philharmoniques bien gravées sur la cire, le vinyle ou autres matériaux magnétiques ou numériques, le tout bien enveloppé dans de plus ou moins belles pochettes. D'un autre coté, devait-on laisser de coté ce qui aurait pu être de beaux disques dont le lecteur assidu de cette rubrique n'aurait jamais entendu parler. C'est donc de manière totalement subjective que l'auteur de cette rubrique a décidé de parler de ce qui auraient pu être les 11ème et 12ème disques gravés par la fanfare Callot-Madelin. Si l'on compte le 13ème, En Souvenir de Lille, dont nous avons parlé précédemment, cela faisait trois rendez-vous manqués avec les auditeurs assidus et nombreux (!) de la fanfare des Beaux-Arts.
Du premier, nous n'avons pas de trace sonore et il y a tout lieu de le regretter tant l'expérience avait quelque chose de nouveau en touchant à la sacro-sainte formule de la fanfare en y adjoignant une guitare et une guitare-basse. De quoi faire remuer dans les chaumières. Les avis, bien sûr, divergent sur ce sujet et on sent qu'il reste encore une certaine forme de ressentiment à l'évocation de cette aventure avortée.
La Fanfare entre en studio pour enregistrer un disque, Blaire nous raconte : "Pour la petite histoire, il y a eu un début d’enregistrement Callot en 66 qui a foiré parce qu’on s’est aperçu que l’éditeur nous imposait des guitares électriques par dessus nos morceaux. J’ai été le premier à quitter le studio, furibard, parce que je ne voyais pas ce que venaient foutre ces guitaristes yéyé sur notre musique ! Le disque n’est jamais sorti. "
Lharidelle m'expliquait, lors d'une conversation téléphonique avant son décès, que cela avait duré toute la nuit, que c'était tendu et "chiant" et que les guitaristes professionnels n'étaient pas contents. Dans ses mémoires(1), il écrit :
"On assista (on ne fut jamais foutus de retrouver la date exacte, tant tous s'étaient dépêchés d'oublier un évènement si calamiteux) à un enregistrement, ou pour être plus précis, une tentative d'enregistrement, avec un groupe de guitaristes électriques, et pour le moins qu'on puisse dire est que personne ne compris très bien à qui l'on était redevable de cette énormité (l'instigateur fit tout pour se faire oublier) ni ce qu'il espérait tirer de l'expérience. L'assistance fut nombreuse à tenter d'élucider ces angoissantes questions. Toute la nuit, des observateurs impartiaux, tels Ahmedée, Wlad, Le Gros ou Lharidelle assistèrent aux efforts des meilleurs d'entre eux, sans que rien de palpable n'en sorte. Ils finirent la nuit, affalés sur leurs pupitres, visiblement à la limite de leur résistance physique, et nerveuse, pendant que ça et là, quelques irréductibles continuent de couper en quatre des partitions qui auraient dues l'être en mille, depuis bien longtemps. A cet égard, la tête de Jeff Mariette était particulièrement parlante. Formidable musicien d'instinct, il était littéralement pétrifié par l'inanité de cette agitation. Dont, bien sûr, il ne sortit rien de rien..."Le constat est sévère...
La fameuse séance de 1966
A contrario, pour Lemétais, les guitaristes étaient prévus dès le départ compte tenu du répertoire envisagé dont: "Noir, c'est noir", "Je ne reconnais plus personne en Harley-Davidson" et d'autres chansons du répertoire yéyé, notamment de Johnny Halliday. Lemétais considère que cette séance aurait pu aboutir à un résultat différent pour un répertoire différent...
Différences de vues entre Blaire, Lharidelle et Lemétais ! Malheureusement, il ne reste aucune trace sonore de cette séance et on peut le regretter car cette expérience trans-instrumentale aurait mérité une écoute.
Autre disque avorté, un enregistrement entrepris au Studio Acousty sous la direction artistique de Le Landais, élève sculpteur égaré dans la production. "Le Landais pensait qu'enregistrer des chansons de Montéhus était bien dans l'air du temps et que nul n'était plus qualifié pour assurer une telle prestation musicale, que la fanfare". Les arrangements avaient été fait par Doladille (Le Bib). "... les séances trainaient en longueur et les arrangements étaient très difficiles..." dit Lharidelle qui pourtant ne jouait pas, "n'étant pas assez bon" (sic). Au bout d'un nombre important de séances tout au long d'une huitaine de jours, ce fut le fiasco et les propriétaires du studio mirent fin à l'opération. Lemétais estime quant à lui que ce n'était sans doute pas un problème d'arrangements mais peut-être de tonalités peu usités en fanfare.
Là encore, on peut regretter que le projet n'ait pas été au bout. Les fanfares passaient en 68 pour être l'image vivante de l'ancienne école, réactionnaires ! Ce projet peut aussi démontrer le jugement peut-être un peu rapide de cette.allégation.
Mais parlons d'abord du sujet principal de cet enregistrement : Montéhus. De son vrai nom, Gaston Mardochée Brunswick, Montéhus est connu comme auteur de chansons engagées pour soutenir le monde ouvrier, la lutte contre la prostitution, la lutte contre la guerre. Né en 1872, il sera l'ami de nombreux autres compositeurs engagés comme Jean-Baptiste Clément, auteur du Temps des Cerises, ou Eugène Pottier, auteur de l'Internationale. Ami aussi de Lénine qui aimait l'écoutait chanter, il se rendra célèbre en 1907 en créant la chanson Gloire au 17ème, en hommage au 17ème régiment d'infanterie qui fraternisa avec les manifestants, vignerons en révolte, à Béziers(2).
Très engagé anti militariste, il connait une période plus ambigüe au moment de la première guerre mondiale où il écrit un certain nombre de chansons bellicistes, chantant alors La Guerre Finale, détournant ainsi L'Internationale. Après la guerre, il est délaissé et n'apparait plus avant le Front Populaire, l'écriture de La Butte Rouge en 1923, mise à part.
Dans son livre(1), Lharidelle écrit :
"...la fanfare s'escrima à un enregistrement dans un studio du quartier, le Studio Acousty(3), dont le directeur artistique était un gars de l'école, deux circonstances des plus positives. Ce Le Landais, sculpteur égaré dans la production, s'était dit que sortir un disque des chansons de Montéhus était bien dans l'air du temps, et que nul n'était plus qualifié, pour assurer une telle protestation musicale, que la fanfare. On n’allait évidemment pas le contredire.
Un petit commando de musiciens capables de lire sur partitions fut constitué. Paulo et Milo au buggle, Schultz et Le Bib à la trompette, le Chef et Penchet à la basse, Mariette et Rippe au trombone, Ronchon ou Philippot à la contrebasse et Malabre à la batterie. Ce n'était pas vraiment parti pour rigoler, mais heureusement, outre Paulo et le Bib, le pupitre des choristes et accessoiristes comptait aussi Lestang, Wlad, le Gros et le docteur Laigner, dit Fouilletrol. Les autres furent autorisés à assister, mais en silence (avec toutefois permission de participer aux choeurs) à des séances d'enregistrements qui s'étalèrent sur une huitaine de jours.
Au programme, On ne devrait pas vieillir quand on est ouvrier, La Butte Rouge, Clairvaux et Les Mains Blanches. Plus deux autres titres n'ayant à voir et on se demande ce qu'ils étaient venu faire là: Good night, par ailleurs très convenable et une niaiserie yéyé, Une minute trente cinq de bonheur, qui ne s'avéra jamais foutue de tenir la moitié de ses promesses.
Disons-le tout de suite, l'affaire se solda par un fiasco complet, bien qu’on n’ait pas mal rigolé en cours de route, avec le premier titre, qui donna lieu à deux versions réjouissantes, la seconde se sauvant d'un thème trop étriqué par une fin en apothéose sur l'air de l'Internationale, récemment répétée dans les beaux quartiers, de façon si providentielle(4). Dans les deux prises, Lestang et Laigner furent remarquables, le premier exécutant sur un mirliton, ou quelque chose de similaire, une fabuleuse parodie du discours d'Alger de De Gaulle "Français, françaises, je vous ai compris". Le reste fut moins bon, sauf sur La Butte Rouge, où Schultz sortit, et fort bien, une sonnerie à la Miles Davis complètement décalée sur le chant assuré par Paulo des Batignoles, en pleine forme.
Par contre, Clairvaux sans Fernier, retenu ailleurs, ne convainquit pas grand monde, quant aux Mains Blanches, elles furent la cause du naufrage de l'entreprise. Pour l'occasion, le Bib s'était fendu d'une partition sans doute talentueuse, mais bien trop compliquée et, comme s'est souvent le cas, dans son désir de prouver que la complication était plus apparente que réelle, l'auteur de ce morceau de bravoure s'entêta, au grand dam du reste des musiciens. Qui répétèrent cinq fois, dix fois, vingt fois la partition contestée qui finit par devenir leur bête noire et une source inépuisable de moqueries, jusqu'à ce qu'on renonce, par accord tacite, à une aussi déraisonnable entreprise.
Le malheur voulut que lors de la mise en boite de Good night, une des deux trompettes se soit présentée à un bon quart de ton en-dessous de la tonalité requise, avec pour résultat une prise inutilisable, ce qu'on apprit le lendemain, trop tard. Pour finir la minute et quelques de bonheur fit long feu...
Bref, avec seulement trois morceaux exploitables au bout d'une semaine d'efforts, la fanfare fut remerciée. Le pauvre Le Landais peut-être bien aussi..."
Participaient à cette séance : Lemetais, Chollet, Doladille, Deneux aux trompettes, Mariette et Rippe aux trombones, Callot, Crespel, Penchet aux basses, Espinasse à la contrebasse, les frères Hervé, piano et batterie, chants assurés par Lemétais, Day, Lestang, Laisnier.
Le disque ne sort donc pas mais il existe une trace de cet enregistrement dans lequel on peut notamment entendre :
(1)
Histoire Edifiante et Véridique de la Grande Fanfare Malaquais. Adrien LHARIDELLE & Co - Editions Lulu.com
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(2)
Ce thème a été joué et enregistré par la Fanfare Bolchévique de Prades-le-Lez, Disques Vendémiaire, réf. : VDES 046, 1979. Cette fanfare dont le nom ne cache pas son orientation, fut assez célèbre dans les années 70, rare fanfare du sud à jouer à l'époque dans l'esprit musical des fanfares des Beaux-Arts, son répertoire mis à part.
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(3)
Le studio Acousty était situé au 34 rue de Seine.
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(4)
Nous sommes en mars 1968, Lharidelle raconte qu'un membre de la fanfare propose de monter l'Internationale en passe devenir un tube. Callot était d'autant plus enthousiaste que la partition originale comptait pas moins de 8 voix de basse ! Le projet mit un certain temps à voir le jour...
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