Lulu Mini et sa fanfare des Beaux-Arts de Marseille
Production privée - Microsillon 30cm, 33T - 1972

Publication Auteur
Juin 2020
Pierre-Edouard CALONI
dit " Calo "

Après Nantes et son "Carnage sur le do" et Strasbourg et son "Soufenir Disk", voici Marseille qui enregistre un disque en 1972. Mais, ce disque n'a été gravé qu'à ...deux exemplaires et un seul des deux a eu le droit à une pochette. Cela méritait une petite enquête.

Nous connaissons mal les fanfares des écoles d'architecture situées en province. L'école de Marseille n'a semble-t-il plus de fanfares aujourd'hui et pourtant la tradition était bien présente dans les années 60 et 70. À Marseille, au début, il y avait Athanase CARLI, nom lui venant évidemment de l'adresse de l'école située place Auguste CARLI(1) à Marseille. Celle-ci a eu une activité assez intense dans la région, participant notamment au festival de Cannes. L'école quittera la place Carli en 1967, le bâtiment devenant le Conservatoire de Musique (gageons que les élèves du conservatoire aujourd'hui ignorent ce qui se tramait musicalement dans ce bâtiment avant eux...).

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Athanase CARLI en 1963

Le déménagement de l'école d'architecture en 1967 et mai 1968 furent fatales à la fanfare. Elle s'installait en périphérie sud de Marseille, sur le campus de Luminy. En 1969, Alain BARBERA, élève de l'école décide, avec quelques autres élèves, de remonter une fanfare au sein de la nouvelle école.

Il raconte :

"68 avait anéanti la Fanfare certainement jugée trop rétrograde. Les instruments avaient été perdus, volés ou emportés comme souvenirs. Pour moi, une École d’Archi sans Fanfare était une hérésie !!! Une basse achetée chez l’antiquaire du coin de ma rue a tout remis en branle et une feuille de papier carotte sur le mur de l’atelier avec la gamme pistons écrite par un ancien qui passait par là est devenue mon bréviaire.
Plusieurs nouvôs attirés par la mélodie de mes exercices m’ont rejoint et devant l’impérieuse nécessité de leur trouver des instruments, le Directeur de l’École, François BRET me fit un don afin d’acheter le matériel de la Clique de Saint Henri (banlieue Nord de Marseille) qui cessait son activité. Paul RICARD appelé comme mécène, nous permit d’acheter le stock de maillots de bain 1900 au costumier le l’Opéra de Marseille.
On pouvait dès lors ressembler à une Fanfare des Bozarts, on n’en avait vraiment pas la qualité musicale mais on se marrait bien et on avait toujours un bon retour du public qui arrivait même quelques fois à reconnaitre le morceau !!!
On a sévi comme çà dans une joyeuse cacophonie jusqu’à l’arrivée dans nos rangs de Jacques LEFÈVRE(2), un extra-terrestre sachant lire et écrire une partition. Il prit la direction artistique de notre groupe hétéroclite et parvint non sans mal à remettre de l’ordre dans tout ça."

Et c'est ainsi que naissait, sur le campus de Luminy, la Fanfare Lulu Mini, reprenant ainsi la tradition du nom en clin d'œil à l'adresse de l'École. Et comme les illustres fanfares qui lui précédèrent, Lulu Mini prit corps, non pas en la personne de son chef naturel, l'Œuf, mais en la personne de Monique UNGARO, groupie de la fanfare qui voulait jouer du tambour avec la fanfare et qui, pas très grande, correspondait bien à ce surnom. C'est pendant la tournée de 1972 qu'elle devint marraine et mascotte de la fanfare.


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Recto de la pochette(3)


L'année 1972 sera fondatrice pour le groupe. Cela commence par une tournée d'été, épisode qui, pour une fanfare peut être le scellement d'un groupe ou sa destruction. L'Œuf nous raconte :

"Été 1972, tout commença avec les vacances.
Nous nous retrouvions quelques-uns en effectif insuffisant à vouloir répéter quelques morceaux de Fanfare (Alain BARBERA, Catherine et Benoit PÉPIOT, mon frère Christian LEFÈVRE et moi-même). Pour renforcer les effectifs, je proposais à mes voisins Henri-Claude MASSE et Bob BRÉNEUR qui avaient fait les Beaux-Arts, de venir apprendre à jouer dans la Fanfare. Christian BONNAUD, un ami qui passait par là se joignit à l’équipe. C’était parti !
Après un mois de juillet studieux passé à apprendre aux nouvôs à souffler et à mettre au point quelques morceaux du répertoire Malaquais, nous nous retrouvons début août sur le port de Marseille pour tester en public un arrangement de « Sur les ponts de Paris ».
Le sous-marin Daphné avec l’équipe de France Inter était amarré au quai, nous sommes invités pour jouer à bord, Napo glisse et se retrouve dans l’eau accroché au sous-marin, la contrebasse en bandoulière. Le lendemain nous faisons la une du journal…
Enhardis par ce succès médiatique fulgurant, nous décidons de partir en tournée sur la côte entre Marseille et Saint Tropez pour le reste de l’été..."


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3 septembre 1972 - vieux port de Marseille

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Sept 72 – le Lavandou au départ pour l’ile du Levant

L'Œuf nous raconte que c'est au cours de cette tournée qu'ils rencontrent le surnommé Albert. Ce dernier, Serge REGLEY, viticulteur à Mussy-sur-Seine, était en stage dans le domaine du Château Vannières se trouvant sous le village de la Cadière(4). " Il croisa notre chemin du coté de Bandol et nous dit « je joue du sax ténor, est-ce que je peux me joindre à vous ? ». C’est ainsi qu’il nous a rejoint chaque soir après son boulot pour jouer avec nous et nous l’avons surnommé « Albert », sans doute en référence à la chanson des Charlots « Albert le contractuel ».
Il maîtrisait son instrument bien mieux que nous, alors qu’une personne dans le public nous avait demandé de jouer « Fleur de Province » de Charlotte JULIAN, ce dont nous étions incapables, il fût le seul à pouvoir le faire d’emblée et sans fausse note. Ce morceau devint son tube…".

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23 sept. 72 – Vieux port de Marseille – la Fanfare en fin de tournée :
Albert, Alain & Magali Barbera, Benoit PÉPIOT, Lulu (masquée),
Napo, Catherine PÉPIOT, Bob BRÉNEUR, l’Œuf (assis),
et Christian BONNAUD, (manque Christian LEFÈVRE qui devait prendre la photo).


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Verso de la pochette
La pochette a été réalisée par Napo, avec au recto une photo prise à Cassis
et un dessin sur le verso reprenant les noms
des fanfarons présents et les noms des morceaux.
En bas à droite, une caricature d'Albert.

"A la rentrée d’octobre, lorsque les autres membres de la Fanfare sont revenus de vacances, ils n’ont pas reconnu la fanfare qui avait une vingtaine de morceaux au répertoire au lieu de 4 ou 5…
Cela créa quelques tensions dans le groupe et nous avons décidé d’enregistrer notre acquis musical de la tournée d’été." (L'Œuf)
Cet enregistrement fût fait dans la cave de la maison familiale des Lefèvre au 50 avenue des Caillols à Marseille, avec un magnétophone stéréo 4 pistes UHER. L'enregistrement a été fait en continu, comme en public en laissant tourner le magnétophone, en une seule prise.
"On sent au fil des morceaux une certaine fatigue s'installer..." (L'Œuf)
Le répertoire est on ne peut plus classique. De l'aveu même de l'Œuf, majeure partie des morceaux a été puisée sur les disques de Léon MALAQUAIS, plus ou moins adaptés et les lecteurs de cette rubrique reconnaitront ceux venant de "Bal aux Beaux-Arts" et de "En Revenant d'la Revue".
Seuls Adiós Muchachos et Here's to You étaient des "arrangements" personnels et Fleur de Province le morceau vedette d'Albert.

FACE A FACE B
  • La Caissière du Grand Café
  • Le Petit Paso
  • Le P'tit bal du samedi soir
  • La grosse noce
  • Adios Muchachos
  • L'affaire du bateau mouche
  • Tyroler
  • La java
  • La matchiche
  • Le plus beau tango du monde
  • La petite tonkinoise
  • Sous les Ponts de Paris
  • Les Lavandières du Portugal
  • Le Grand Frisé
  • Frou-Frou
  • Le Gorille
  • Charlotte
  • Fleur de Province
  • Marguerite
  • Here's to You
  • Yes Sir, That's My Baby

Nous retrouvons sur cet enregistrement les fanfarons suivants, se cachant derrière un sobriquet utilisé seulement pour le disque, à l'instar des Malaquais dans leur disque Bal aux Beaux-Arts :

Trompettes : Jacques "L'Œuf" LEFÈVRE, dit Richard LABOUÉLÉ / Richard BADO, dit Amédé BADO,
Cornet : Alain BARBERA, dit Horace LEGRHAUS,
Jazzoflûte : Catherine PÉPIOT, dite Catherine DALGÉMAIME,
Corne de brume : Annick DEMAILLY-MASSE, dite Maria de CASANIS,

Trombone : Bob BRÉNEUR, dit Euzèbe CLOCHEMERLE,
Sax ténor : Serge "Albert" REGLEY,
Basses : Christain BONNAUD, dit Urlrich de RICCIN / Benoit PÉPIOT, dit Œustache de CAMBOUIS,
Contrebasse : Henri-Claude "Napo" MASSE, dit Camille KHAZE,

Triangle : Magali BARBERA, dite Olga du RADADA,
Grosse Caisse : Christian LEFÈVRE, dit Pacôme AISSSTIBLES,
Tambour : Monique "Lulu" UNGARO, dite Lulu MINI.


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Carte de visite de la fanfare 1972(5)

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Ce 33T est donc plus que rare puisqu'il n’en existe que deux exemplaires au monde…

"En effet, nous avions dans l’idée de faire éditer un disque à partir de notre enregistrement. Napo contacta une entreprise qui grava deux exemplaires pour bon à tirer, avec des pochettes vierges en attendant la maquette définitive et la commande des 500 exemplaires. La Fanfare n’ayant pas les fonds, le projet n’est pas allé plus loin. Napo fit la pochette d’un des deux exemplaires avec une photo et des dessins au verso, ce disque fut offert à Albert en souvenir de notre tournée, Napo garda le deuxième exemplaire sur lequel il fit un vague croquis. " (L'Œuf)

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Les macarons du disque 1 (Albert)


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Les macarons du disque 2 (Napo)


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La pochette de protection dessinée par Napo pour le disque 2

Le disque sort donc en 1972, c’est un microsillon de 30cm, 33 tours et porte le titre de « Lulu Mini & sa Fanfare des Beaux-Arts de Marseille ».

Ce disque n'a jamais été réédité mais on pouvait le trouver sur le site de l'Œuf dans lequel il proposait de télécharger en mp3 l'ensemble des morceaux ainsi qu'une pochette format CD reprenant la carte de visite de 1972 et la liste des morceaux.

Nous vous laissons ci-après l'opportunité de l'écouter sur ce lien.

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Illustration du disque sur le site de l'Œuf

Notes :


(1) Auguste CARLI est un sculpteur né à Marseille en 1868, second Prix de Rome en sculpture en 1896. Nombre de ses œuvres ont été des commandes publiques à Marseille. (retour)

(2) Jacques LEFÈVRE dit "L'Œuf" ...Qui ne le connait pas ? Il a notamment sévi dans le Bastringue de la Haute Vallée de l'Arc puis créa, en 1990, le Fiera Brass. On lui doit un recueil de partitions qui a été dans toutes les mains de plusieurs générations de fanfarons, l'organisation de multiples évènements dont les week-ends sur l'Ile du Levant. Vous le croiserez forcément avec son trombone au cours d'une féria. Actuel président, entre autres, de l'Association Léon MALAQUAIS. Je profite de cette note pour remercier l'ami l'Œuf pour son aide précieuse à la rédaction de cette rubrique. (retour)

(3) On reconnait sur la pochette : (retour)

(4) Pour la petite histoire et ceux qui ne connaissent pas La Cadière d'Azur, ce village de la Côte d'Azur est un village perché sur une falaise dominant la plaine du Castellet. C'est dans ce village que la Fanfare Léon MALAQUAIS acheta une maison avec l'argent gagné lors de leur prestation à l'Olympia en 1961. C'est aussi là que vivait Michel VINCENT (Léon MALAQUAIS lui-même) jusqu'à son décès. La maison est gérée par l'association de la fanfare Léon MALAQUAIS. (retour)

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Trombinosque sur le recto de la pochette

(5) C’est Henri-Claude MASSE « Napo » qui a dessiné la carte de visite de la Fanfare, format carte postale, caricaturant l’équipe de l’époque à la manière de Dubout et ajoutant quelques grouillots en remplissage.

".. Le pépé figurant sur la droite à la caisse claire, faisait partie de la clique du coin, sans doute St Cyr-sur mer. Il nous avait accompagné pendant deux jours et le temps d’installer sa caisse claire et son tabouret, nous avions terminé le morceau et nous partions 20 m plus loin…
C’est en pensant à lui que par la suite nous avons surnommé « Pépé » notre batteur Jacques LANGLOIS qui lui aussi mettait un certain temps pour s’installer..." (retour)

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Trombinoscope de la carte de visite 1972