LE POMPIER, 1931
Hymne des Architectes et de l'École des Beaux-Arts

Publication Auteur
Décembre
2014
Christophe SAMOYAULT - MULLER
dit " Mannix "
Archiviste

Concernant cette chanson mythique, il est couramment utilisé à partir de la fin du premier tiers du XXème siècle le vocable « Le Pompier » alors qu’à l’origine il s’agit de la chanson « Les Pompiers ».

« Le Pompier » demeure à jamais l’hymne des architectes et l’hymne de l’École des Beaux-Arts.
Encore aujourd’hui, il suffit que les premières notes de l’air du Pompier retentissent pour que, dans un élan spontané, jeunes et moins jeunes ayant fréquentés l’École des Beaux-Arts(1) et certaines Écoles Nationales Supérieures d’Architecture se rassemblent pour entonner de façon solennelle et d’une seule voix cette chanson rituelle.

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Logo figurant sur la couverture de l’annuaire 1968 des anciens élèves de l’École des Beaux-Arts édité par la Grande Masse.


L’air du « Pompier », chanté en 1885 pour la première fois à l’École des Beaux-Arts, a pour origine le célèbre atelier officiel d’Architecture Jules ANDRÉ (1819 – 1890 / 1er Grand Prix de Rome d’Architecture en 1847) et dont Victor LALOUX (1850 – 1937 / 1er Grand Prix de Rome d’Architecture en 1878) prendra la suite(2).
Cette atelier se distinguera, outre pour ses nombreuses récompenses dans les concours d’Architecture à l’École des Beaux-Arts, pour être à l’origine de « La ballade du Rougevin » (1891) et pour être également à l’origine du « Bal des Quat’ Z’Arts » (1892)(3).
L’histoire de cet air, dont il est relaté l’origine ci-après, est du reste issue de témoignages recueillis auprès d’anciens élèves de l’atelier Jules ANDRÉ(4) et édités dans un livret en 1926 par Jean-Paul ALAUX (1876 – 1955 / admission en 1896 à l’atelier libre d’Architecture LALOUX).

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Couverture du livret édité par Jean-Paul ALAUX en 1926.
L’illustration est la copie de celle figurant sur la carte d’entrée du Bal des Quat’Z’Arts de 1894 réalisée par Albert GUILLAUME (1873 - 1942)(5).


Ainsi en 1885, à l’atelier Jules ANDRÉ, dans son local loué à l’extérieur de l’École au 22, rue de la cassette à PARIS 6ème, à l’occasion d’une charrette(6) de nuit pour un concours général de construction(7) de 1ère classe, Edouard DEFAYS (1857 – 1898 / admission en 1878), angevin de naissance, se mit spontanément à entonner un vieil air d’Anjou prénommé « Les Pompiers ».

Le succès parmi les camarades de l’atelier présents fut immédiat, tous reprirent en chœur la chanson et chaque jour de charrette suivant, elle fut chantée toujours avec plus d’entrain sous la direction de la voix puissante et sonore de Charles PLANCKAERT dit « Chacha » (1861 – 1933 / admission en 1883 / 1ère classe en 1885 / diplôme en 1887).

Le jour du rendu du concours général de construction, c’est en groupe bien ordonné que les élèves de l’atelier Jules ANDRÉ, poussant et tirant leurs charrettes, chantèrent dehors et dans la cour Bonaparte à l’École pour la première fois, « Les Pompiers », au grand étonnement de tous les autres ateliers amenant leurs projets également pour jugement ; cet évènement eu un effet considérable.

Sous l’impulsion de notre fameux « Chacha », qui pour bien d’autres occasions se fera l’interprète du Pompier, cette chanson sera adoptée par les autres ateliers d’architecture puis s’étendra très vite chez les autres élèves peintres, sculpteurs et graveurs.

Jules GODEFROY relate :

« En 1888, eut lieu à Fontainebleau la ballade traditionnelle des élèves (architectes) de 1ère classe de l’École. [...] Le soir, nous fîmes irruption au théâtre où se donnait un concert. Voilà que notre joyeux Planckaert saute sur la scène, au moment d’un entr’acte et, de sa voix formidable entonne « Les Pompiers », bientôt reprise en chœur par tous. L’assistance étonnée n’en revient pas. L’orchestre bientôt se met de la partie. Ce fut aux applaudissements de la foule que Planckaert triomphant revint prendre sa place parmi nous. Telle fut la consécration de notre chanson qui fut, de ce jour, adoptée par tous les autres ateliers.

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Musée des Beaux-Arts BONNAT-HELIEU de la ville de Bayonne (1901). Architecte : Charles PLANCKAERT.


J’ai pu voir écrit concernant l’origine de la chanson du Pompier que celle-ci serait une référence à l’expression « L’art Pompier », expression désignant de façon plus ou moins péjorative l’art officiel de la peinture de la seconde moitié du XIXème siècle.

Sur ce sujet, j’ai un avis catégorique : « on nage en plein délire ! ».

Tout d’abord, aucun des témoignages des élèves architectes de l’atelier Jules ANDRÉ ne fait allusion à cette référence et, intuitivement, je n’imagine pas, dans l’ambiance de charrette, les étudiants de l’atelier ANDRÉ se soucier de ce genre de considérations.

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Paroles de la chanson « Le Pompier » extraites du paillardier de l’École des Beaux-Arts de 1957.


Le plus souvent lorsque l’air du Pompier est repris en chœur, en général, seul le premier couplet est chanté, voir le second, mais plus rarement.
La tradition veut que les nouveaux (nouvôs) et quelques « grandes gueules » chantent la chanson le pantalon et le caleçon baissés en marque de respect pour ce chant glorieux mais aussi par dérision par rapport au côté guerrier que représente le casque.

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Partition de la chanson « Les Pompiers » éditée par Jean-Paul ALAUX en 1926 et harmonisée en 1925 par Jeanne LELEU(8), 1er Grand Prix de Rome de Musique alors que Jean-Paul ALAUX faisait un séjour à la Villa Médicis à Rome.


J’aimerais terminer cet article en vous faisant partager des extraits de courriers publiés dans le bulletin de la Grande Masse du 16 novembre 1939 et dans celui de début 1940, bulletins destinés aux élèves de l’École des Beaux-Arts mobilisés. Ces passages caractérisent tout l’esprit de l’École.

Alain RUPRICH-ROBERT (Élève de l’atelier d’Architecture libre DEFRASSE-HILT) :

« Tu sais qu’après Le Mans, on nous a expédié comme des bestiaux à Laval où se trouve le peloton E.O.R...
L’esprit École a rapidement pris le dessus, après une courte lutte avec l’esprit Sciences-Po et autres qui nous traitaient de grossiers, gueulards et tout et tout. Maintenant les types de l’École sont les rois dans chaque chambrée, terrorisant les couillons, gueulant, se démerdant pour ne faire aucune corvée….Le plus baisant est que toutes les compagnies ne chantaient plus que des chansons de l’École et pendant les marches, s’il y a un architecte D.P.L.G. dans les petits villages que nous traversons, il doit être fort épaté d’entendre des trouffions poussant des « Pompiers » du tonnerre de Zeus. »

POULAIN dit « Boudu » (Élève de l’atelier d’Architecture officiel PONTRÉMOLI – LECONTE) :
« Je suis perdu dans un petit patelin où je me fais chier à 14 sous par jour. Les bistrots ne sont ouverts que deux heures par jour, cette guerre s’annonce terrible. Malgré que je sois le seul de l’École tout l’escadron chante « Le Pompier », au grand désespoir du capitaine qui ne comprend pas que l’on hurle cette chanson idiote (sic), le salaud. J’attends mon départ en Syrie (ici il fait trop froid). »

DAUSSY (Élève de l’atelier de Peinture officiel SABATTÉ):
« Me voilà sous les drapeaux, comme ils disent, depuis un mois et demi. Ici il y a la chiée de petits copains de l’École. Tout le bataillon sait « Le Pompier » et « Mimi Peau d’Chien », que je leur ai appris, tout au moins à ceux qui ne le savaient pas ; on les chante en rentrant de marche ou au réfectoire, ambiance de vie de château. Tous des truands !!! Le soir il y a des chahuts dont ne rougirait pas un rapin. »

DUFLOS (Élève de l’atelier d’Architecture officiel PONTRÉMOLI – LECONTE) :
« [...]. Comme tous les copains, « Le Pompier » a pris ici et le commandant trouve ça très bien (il trouve très bien tout ce qu’il ne comprend pas et trouve tout très bien). Il n’y a pas un pilote de mon escadrille qui ne sache pas tomber le pantalon et montrer ses fesses dans les bistrots ; le mieux est que ça fait toujours rire. »

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Page de couverture du paillardier de l’École des Beaux-Arts de 1957.


Afin d’écouter différentes version discographiques de la chanson du « Pompier » vous pouvez cliquer sur ce lien.


Notes :
(1) Jusqu’en 1968, l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts est divisée en trois sections, à savoir, Peinture, Sculpture et Architecture.
A la section de Peinture se rattachent la Gravure en taille-douce, la Gravure à l’eau-forte, la Gravure sur bois et la Lithographie. A la section de Sculpture, se rattache la Gravure en médailles et en pierres fines. (retour)

(2) En 1889, Jules ANDRÉ (1819 – 1890), chef d’un atelier officiel (origine PACCARD), auquel son âge et l’état de santé ne permettaient plus de suivre les études de ses élèves, avait désigné son élève de prédilection, Victor LALOUX, pour le remplacer dans ses corrections.

Grâce à la netteté et à la précision de ses conseils, ce dernier s’attira très vite la sympathie de tous et il apparaissait légitime pour les élèves lors du décès de Jules ANDRÉ que Victor LALOUX soit désigné pour le remplacer. Cependant ce fut Constant MOYAUX qui fût désigné par le ministre de l’Instruction. La quasi-totalité des élèves de l’atelier n’acceptèrent pas cette décision et décidèrent de quitter l’École, pour pouvoir fonder un nouvel atelier libre avec donc comme chef d’atelier, Victor LALOUX. (retour)

(3) Concernant l’origine du Bal des Quat’Z’Arts voir le lien internet : Origine du Bal des Quat’Z’Arts. (retour)

(4) Les anciens élèves de l’atelier Jules ANDRÉ dont il s’agit sont : Jules GODEFROY (1863 – 1928), Charles CRAVIO (1863 - ?), Guillaume TRONCHET (1867 – 1959), Henri GUILLAUME (1868 – 1930). (retour)

(5) Concernant la carte d’entrée du Bal des Quat’Z’Arts 1894 voir le lien internet : Fiche du Bal des Quat’Z’Arts 1894. (retour)

(6) Concernant la signification du mot « charrette » chez les architectes voir le lien internet : Article "Alors, ...Charrette ?". (retour)

(7) Le concours général de construction consistait à développer, sur un programme proposé par le professeur de construction de l’École, un projet en y faisant figurer à grande échelle des détails significatifs d’architecture. (retour)

(8) Jeanne LELEU (1898 – 1979), Compositrice. 1er Grand Prix de Rome de Musique en 1923 pour sa cantate « Béatrix ». Pensionnaire à la Villa Médicis à Rome de 1924 à 1927. (retour)