« Fanfare Octave CALLOT En souvenir de Lille... sur un ton "MINEUR" »
Production privée - GAP 1-2 – Microsillon 17cm, 45T - 1968

Publication Auteur
Janvier 2020
Pierre-Edouard CALONI
dit " Calo "

« Enregistrés tout spécialement pour les architectes congressistes à Lille, le 23 mai ». Tout est dans cette phrase, ce disque, sorti en 1968 devait être distribué aux architectes présents au congrès de Lille prévu ce 23 mai 1968.

Mais le mois de mai 1968 est passé par là et l'ambiance politique et sociale engendrée par ces évènements, amenèrent les architectes à annuler leur congrès annuel.
Le disque n'avait plus de raison d'être et l'ensemble des exemplaires déjà gravés furent passés au pilon.... Dommage !

Seuls, quelques exemplaires furent préservés et je n'ose en parler au pluriel car je n'en ai vu qu'un et ne connais personne en ayant vu un à part celui présenté ici. Merci donc à Alain LEMÉTAIS, alias Paulo des Batignoles, trompettiste de la Fanfare Octave Callot de bien avoir voulu nous le confier pour cette rubrique. Octave CALLOT en a lui-même perdu le souvenir.

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Affiche de mai 68


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Recto de la pochette

Soyons francs, la pochette est bien ce qu'il y a de plus décevant dans ce disque. On se demande qui a bien pu sortir quelque chose d'aussi pauvre. On n'ose croire que les membres de la fanfare Octave CALLOT dont les disques nous ont offert parmi les plus belles pochettes, aient pu participer à cela ! Alors qui ? Des architectes organisateurs du congrès ? Si c'est le cas, c'est bien triste ! Finalement, la seule chose drôle dans cette pochette, est l'énorme coquille dans le nom de CALLOT transformé en COLLOT ! Et que dire de "...sur un ton mineur", en référence aux mines du Nord qui étaient encore très actives à cette époque ?
Il n'y a pas de verso à cette pochette.

Le disque a été enregistré le 23 avril 1968, dans un studio de la rue Jouvenet dans le 16ème arrondissement de Paris.
L'intérêt de ce 45 tours se trouve donc sur ses sillons. Au programme, Le Petit Quinquin et le Pompier, l'hymne du Nord, appelé quelques fois La Marseillaise du Nord, et l'hymne des Beaux-Arts. Quoi de plus logique pour un congrès d'architectes se passant à Lille ?

Vu de Paris ou de tout autre région que le Nord, le Petit Quinquin ressemble plus à une comptine un peu gnangnan qu'à un hymne à la gloire d'une région. Mais l'histoire de cette chanson est singulière et finalement assez attachante.

Un peu d’histoire :

Le P'tit Quinquin a été écrit par un poète-chansonnier lillois, Alexandre DESROUSSEAUX qui vivait dans le quartier Saint-Sauveur, quartier populaire de Lille, et eu l'idée de cette berceuse en regardant une dentellière endormir son bébé. Cette chanson écrite en 1853 en ch'ti a été chantée pour la première fois à Lille, le dimanche 13 novembre 1853 dans un estaminet de la rue de Gand, "A la ville d'Ostende".
Le titre original de la chanson est L'canchon Dormoire (La chanson pour dormir). Une berceuse destinée à endormir les enfants.
Quinquin vient du flamand kind-kind qui veut dire petit-petit.

100 000 exemplaires ont été vendus entre 1853 et 1890. Dans le Nord, puis sur l'ensemble du territoire, les cliques et les fanfares ont vite repris la chanson dont le thème musical est assez simple. Les publicités se sont multipliés autour. "C'est un tube avant la lettre" (Serge DILLAZ, archiviste à la mairie de Lille). La chanson comprend 7 couplets en ch'ti(1)(2).

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Alexandre DESROUSSEAUX (1820-1892)


La version jouée par Octave CALLOT rejoint celle des fanfares traditionnelles, mi fanfare municipale, mi fanfare militaire avec introduction à la caisse claire, un chant de trompettes et des contrechants de basses dont Callot a le secret. L'intérêt se trouve essentiellement dans la partie chantée par Paulo des Batignolles alias Otto MITTAG, alias Alain LEMÉTAIS, trompettiste de la fanfare. Pas de concession à l'accent ch'ti dans cette version mais un accent bien marqué de titi parisien.

Monsieur Patrice DESDOIT(3) avait appris l'existence de ce disque et a contacté la Grande Masse pour en savoir un peu plus. Spécialiste du Petit Quinquin dont il possède grand nombre de versions, il recherchait une version jouée en mineur comme cela l'avait été semble-t-il à l'enterrement de Desrousseaux. Il avait été trompé par la pochette faisant allusion au ton mineur mentionné sur la pochette. Néanmoins, il note dans un de nos échanges :

"Ah ! Paulo des Batignolles !
J'aime particulièrement cette version qui est une des toutes meilleures des 135 que je possède. 
Musicalement j’adore l'arrivée de la trompette sur le dernier tiers de la chanson.
Maintenant j'attends de voir la réaction de ceux qui vont découvrir cette version "parisienne". J'imagine la tête de certains et surtout du grand maître de la chanson picarde, Philippe BOULFROY, auteur d'ouvrages qui font référence sur la langue picarde et qui a recensé plus de 8100 chansons en picard."

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Trois couvertures d'ouvrages sur les chansons picardes

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La seconde face est l'objet d'un pompier bien léché où Callot montre encore son talent d'arrangeur. Nous ne raconterons pas ici l'histoire du Pompier, ce serait faire offense à nos lecteurs tant cet hymne de l'Ecole fait partie de nos gênes. Paulo des Batignolles nous offre ici une version chantée avec, fait rare, trois couplets, le second étant récitatif. Là encore, Lemetais s'impose par son accent parisien, une voix à mi chemin entre celle de Bourvil et celle de Gérard (de l'Assignat bien sûr !)

FACE A FACE B
  • Le Petit Quinquin
  • Le Pompier

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Macarons A & B du disque Souvenir de Lille... sur un ton "mineur" - 1968


On peut constater sur les macarons que la faute d'orthographe présente sur la pochette n'est pas reproduite ici. C'est donc bien une coquille sur la pochette !

Le disque sort donc en 1968 sous un label privé, référencé GAP 1-2, c’est un microsillon de 17cm, 45 tours et porte le titre de « En souvenir de Lille...sur un ton "mineur" ».
Il n'a, bien-sûr, jamais réédité.

Alors, sans doute pour la première fois, vous pourrez écouter ce disque en suivant ce lien.

Notes :


(1) Les paroles du P'tit Quinquin, indispensable lors de votre prochaine tournée dans le Nord :

Les paroles en ch'ti

Dors, min p'tit quinquin

Min p'tit pouchin

Min gros rojin !

Te m'feras du chagrin,

Si te n'dors point j'qu'à d'main.

Ainsi l'aut' jour eun' pauvr' dintellière

In amiclotant sin p'tit garchon

Qui, d'puis tros quarts d'heure, n'faijot que d' braire

Tâchot l'indormir par eun' canchon.

Ell' li dijot : "Min Narcisse

D'main t'aras du pain d'épice,

Du chuc à gogo, si t'es sache et qu' te fais dodo.

Et si te m'laich' faire eun' bonn' semaine

J'irai dégager tin biau sarrau

Tin patalon d'drap, tin giliet d'laine,

Comme un p'tit milord, te s'ras faraud !

J' t'acat'rai, l'jour d'la ducasse

Un porichinell' cocasse

Un turlututu, pour juer l'air du Capiau-pointu

Nous irons dins l'cour Jeannette-à-Vaques,

Vir les marionnettes comme te riras

Quind t'intindras dire un doup' pou Jacques !

Par l'porichinelle qui parle magas

Te li mettras dins s'menotte,

Au lieu d'doupe un rond d'carrotte

Il t'dira merci, pins' comme nous arons du plaisi !

Et si par hazard sin maîte eus'fâche,

Ch'est alors Narciss' que nous rirons

Sans n'avoir invie, j'prindrai m'n'air mache,

J'li dirai sin nom et ses surnoms

J'li dirai des fariboles,

I m'in répondra des drôles

Infin, unchacun, verra deux spectac' au lieu d'un

Alors serr' tes yeux, dors min bonhomme,

J'vas dire eun'prière à p'tit Jésus,

Pou qu'i vienne ichi, pindint tin somme,

T'faire rêver qu'j'ai les mains plein's d'écus,

Pou qu'i t'apporte eune coquille,

Avec du chirop qui guille

Tout l'long d'tin minton

Te pourlèqu'ras tros heur's du long

L'mos qui vient, d'Saint-Nicolas ch'est l'fête,

Pour sûr au soir i viendra t'trouver

I t'f'ra un sermon et t'laich'ra mette,

In-d'sous du ballot un grand painier

I l'rimplira si t'es sach',

D'sait-quoi qui t'rindront bénache

Sans cha sin baudet, t'invoira un grand martinet

Ni les marionnettes, ni l'pain d'épice,

N'ont produit d'effet ; mais l'martinet

A vite rappajé eul'p'tit Narcisse,

Qui craignot d'vir arriver l'baudet

Il a dit s'canchon-dormoire,

S'mère l'a mis dins s'n'ochennoire

A r'pris sin coussin,, et répété vingt fos ch'refrain

(retour)

Les paroles en français

Dors mon p'tit Quinquin,
mon p'tit poussin,
mon gros raisin,

Tu me feras du chagrin,
si tu ne dors point jusqu'à demain

Ainsi l'autre jour une pauvre dentellière,

En berçant son petit garçon,

Qui depuis trois quarts d'heures ne faisait que pleurer,

Tâchait de l'endormir avec une chanson,

Elle lui disait "min narcisse,

Demain tu auras du pain d'épice,

Des bonbons à gogo, si tu es sage et si tu fais dodo.

Et si tu me laisses faire une bonne semaine,

J’irai chercher ton beau sarrau

Ton pantalon de drap, ton gilet de laine,

Comme un petit Milord tu seras faraud !

Je t’achèterai, le jour de la ducasse,

Un polichinelle cocasse

Un turlututu, pour jouer l’air du chapeau pointu

Nous irons dans la cour, Jeannette-aux-Vaches,

Voir les marionnettes comme tu riras

Quand tu entendras dire un sou pour Jacques,

Par le polichinelle qui parle mal

Tu lui mettras dans sa main,

Au lieu d'un sou un rond de carrotte

Il te dira merci, parce comme nous, il prendra du plaisir !

Et si par hasard son maître se fâche,

C’est alors Narcisse que nous rirons

Sans n’avoir envie, je prendrai mon air méchant,

Je lui dirai son nom et ses surnoms

Je lui dirai des fariboles,

Il m’en répondra des drôles

Enfin, chacun verra deux spectacles au lieu d’un

Alors serre tes yeux, dors mon bonhomme,

Je vais dire une prière au petit Jésus,

Pour qu’il vienne ici, pendant ton somme,

Te faire rêver que j'ai les mains pleines d'écus,

Pour qu'il t'apporte une brioche,

Avec du sirop qui coule

Tout le long de ton menton,
tu te pourlécheras trois heures du long

Le mois qui vient, c'est la fête de St Nicolas,

C'est sûr au soir il viendra te trouver

Il te fera un sermon et te laissera mettre,

En-dessous du ballot un grand panier

Il le remplira si tu es sage,

De choses qui te rendront heureux

Sinon son baudet t’enverra un grand martinet

Ni les marionnettes, ni le pain d’épice,

N’ont produit d’effet ; mais le martinet

A vite calmé le petit Narcisse,

Qui craignait de voir arriver le baudet

Il a dit sa berceuse,

Sa mère l’a mis dans son berceau

A repris son coussin, et répété vingt fois le refrain

(2) On ne mesure pas, à Paris, l'importance de cette chanson. Pourtant, en 1953, à l'occasion du centenaire de la création de la comptine, Vincent AURIOL, Président de la République, reçoit le Ptit Quinquin à l'Elysée : A cette occasion, la poupée qu'Alexandre DESROUSSEAUX possédait et mimait de bercer lorsqu'il a chanté la comptine pour la première fois en 1853, était présentée au Président de la République. Lien Youtube. (retour)

(3) Patrice DESDOIT est historien d'histoire locale, évidemment dans le Nord, habite pour la petite histoire à 50 m de l'estaminet où fut chanté le Ptit Quinquin pour la première fois. Passionné de cette histoire, il collectionne les versions de la chanson et recherche, en prévision d'une conférence sur le sujet au printemps 2020, tout ce qui s'y rapporte. C'est ainsi qu'il fut à l'origine de la découverte de la poupée de Desrousseaux, poupée qui dormait anonymement dans les réserves d'un musée, Musée de l'Hospice Comtesse à Lille. Lien Youtube. (retour)