« Carnage sur le Do » - 1960 - Fanfare de Nantes

Publication Auteur
Mai
2017
Pierre-Edouard CALONI
dit " Calo "

Nous quittons à partir de cette rubrique les grosses armadas qu'étaient les fanfares Léon MALAQUAIS et Octave CALLOT pour retrouver l'ambiance assez peu feutrée des ateliers d'architecture, berceaux des fanfares de l'Ecole, aussi bien à Paris qu'en province. Petit retour en arrière dans ces rubriques chronologiques pour un disque que je n'avais jamais pu écouter avant ce jour. C'est maintenant chose faite et vous pourrez en profiter, une grande œuvre musicale vous attend !

Voilà ce qu'on appelle un disque introuvable ! D'abord parce qu'il a été tiré à un nombre d'exemplaires extrêmement limité, sans doute 50, ensuite parce que ce type de disque-souvenir ne quitte pas les familles... Je le cherchai depuis longtemps, nombre de nantais m'expliquait qu'ils ne l'avaient même pas trouvé lorsque la fanfare avait fêté ses 50 ans en 2008. Cantal-Dupart lui me conseillait : "Je pense qu'il faut rechercher ce disque chez des héritiers"... Je n'avais plus qu'à partir à la recherche du discobole nantais... Merci donc à René NAULLEAU, fondateur de la fanfare, qui m'a ouvert ses archives.

Un petit peu d'histoire...
La Fanfare de Nantes, ou plus exactement, Fanfare de l'Ecole d'Architecture de Nantes(1), voit le jour en 1958, créée essentiellement par René NAULLEAU, dit Nolo. Comme pour beaucoup de fanfare d'atelier, il n'y avait guère que l'un d'entre eux, en l'occurrence Nolo, à avoir pratiqué la musique auparavant. Ce dernier raconte qu'il avait récupéré des instruments chez des curés et avait dessiné les positions des pistons sur le mur de l'atelier afin de familiariser tout un chacun avec la gamme.

"Pour l’histoire des instruments, j’étais au Lycée de la Roche sur Yon, et avec des copains on avait monté un petit orchestre de Jazz, c’était en 55-56, il y avait encore des militaires américains black qui jouaient vachement bien, et ils nous avaient demandé, pour nous faire plaisir, de jouer avec eux au Théâtre de La Roche sur Yon… When the Saints et Saint James Infirmary.

C’est à cette époque au moment du Bac qu’un copain qui jouait avec nous, Pierre BUQUET qui lui était chez les curés, nous a raconté que dans le grenier de son collège il y avait plein de vieux instruments entassés. Alors que je préparais l’admission à Nantes, j’ai dit aux anciens que je jouais un peu de trompette et j’ai donc été chargé de monter une fanfare, car quand ils montaient à Paris pour les expos à la Melpo, ils entendaient les Malaquais et ont voulu en accord avec le patron Guillou ne pas rester en reste … d’où la suite... J’ai donc ramené une pleine 2CV d'instruments piqués chez les curés…"

Très vite, la fanfare sort de l'Ecole et on la retrouve dans la ville de Nantes pour animer une fête qui fit date : l'enterrement des lignes de tramways en 1958.
"Les virées avec la Fanfare et aussi la voiture rose nous en avons fait beaucoup : les plus marquantes ont été les carnavals de Nantes, de Cholet, de la Baule. Le clou a certainement été l'enterrement des tramways. Nous marchions devant le dernier. Pellerin, en tête, avec la couronne mortuaire. La fanfare le suivait. Nous avons eu encore une fois un franc succès. C'était le bon temps !" (Georges Ferronnière)

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1958 - Photo de la Fanfare de Nantes animant l'enterrement des lignes du tramway
De gauche à droite : Poupin (sifflet à coulisse), Alterac (tb à pistons), Saint-Loubert (basse), Lengrand (sax alto), Aymard, (casqué, caché), Naulleau (tp), Ferronière (grosse caisse), Pellerin (couronne mortuaire), Pierric GAUDIN (hélicon), Frioux (basse, assis), Ballerini (tp), Masson (cymbales), JP Peneau (clarinette, casqué)(2).


De manière très classique pour l'Ecole, la fanfare arbore le maillot rayé, le col cassé, la redingote pour certains, le chapeau melon ou le casque de pompiers. L'identité "Fanfare des Beaux-Arts" est présente.

Ce disque a été enregistré en 1960...

"pour l’enregistrement je ne me souviens plus trop, ça s’est fait chez un « copain » qui nous reparait les instruments qui étaient en piteux état, il s’appelait D. GEORGET" (Nolo). "L'enregistrement s'est fait dans les caves du Château de Nantes" (Cantal-Dupart)

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Recto de la pochette


La pochette a été conçue et réalisée par Lucien GODIN sur du papier photo. Chaque personnage sur le recto comme sur le verso représente un membre de la fanfare. La description du disque et de ses morceaux se résume dans le texte suivant :

"Cette triste cire est consacrée à la sombre histoire d'un musicotobus (vit esse 45 tours) qui après avoir fait valser l'Archimède et bricolé Janjil se farcit un troupeau de Lavandières portugaises en revenant du Piémont, le véhicule susnommé rencontra les affaires de Dupanloup qui trainaient un 14 juillet sous les yeux de Marjolaine réchauffant sur son poil à mazout les Patineurs et la fanfare de Bagnolet."

La voiture représentée sur la pochette faisait partie de la fanfare. Interrogé sur ce sujet, Nolo confirme :
"Oui, Lucien GODIN qui a dessiné la pochette avec nos photos, s’est inspiré de la bagnole en question, on l’avait achetée à la casse. C’était une voiture classique, on avait découpé le toit à la scie pour en faire une décapotable pour défiler à la mi-carême, et on l’avait peinte en rose, et le jour du défilé officiel on était parti (certains pas tous) avec les 3 reines à la Baule… se balader..."

Nolo raconte en effet que l'organisation de la fête des Reines recherchaient les jeunes élues pour le défilé officiel... elles étaient parties avec la fanfare...
"A chaque mi-carême à Nantes il y avait l'élection des Reines de la Mi-Carême par un comité présidé à l’époque par Aimé DELERUE, or cette année pour la première fois la Reine élue était Mireille une antillaise, on l’avait appelé « La Reine Blanche » du fait de sa couleur de peau..."(3)

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La Citroën de la Fanfare avec la reine Mireille et ses 2 demoiselles d’honneur.


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Verso de la pochette


Ainsi, retrouve-t-on les trombines photographiées des fanfaristes assemblées dans le dessin de Godin. On y reconnait :

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1960_POCHETTE_Fanfare-Nantes_Carnage-sur-le-Do_Trombinoscope_Verso-annote.jpg

Recto et verso annoté en trombinoscope.


Véronique FLANET raconte(4) que la jeune fanfare semble trouver son style assez rapidement :

"c'était faire du bruit, sans partition ; on faisait des pompes". Des émules de Malaquais dirait-on. Elle a un noyau solide d'une quinzaine de musiciens et il n'y a pas de chef, quoique..."les trompettes étaient un peu les leaders et la grosse caisse aussi".

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La Fanfare de Nantes à l'atelier.
De gauche à droite : Queinnec – Pellerin – Féronnière – Lengrand - Ballerini- Saint-Loubert – Teffaud – Alterac – Gaudin - Durand – Peneau - Laurentin – Poupin - Cormier – Frioux - Nolo


Musicalement, le disque reprend un répertoire très traditionnel de la chanson française en général et des fanfares estudiantines en particulier. Le titre de Carnage sur le Do a été donné par Lucien GODIN, auteur de la pochette. Pour Nolo, ce disque aurait bien porté son nom car pour lui, "ce fut un massacre..." La première chose qui frappe par rapport aux autres fanfares d'école, c'est l'omniprésence des tambours qui sonnent bien différemment de la caisse claire. Ce jeu rythmique tranche un peu avec les autres fanfares.

"Pour les tambours, il y en avait 3 ! et pas besoin d’être « musicien » comme avec un instrument à vent et Ptit Brun(5), tapait comme un sourd, et comme ce n’était pas un « studio » le micro devait être en plus placé tout près" (Nolo)
Par ailleurs, Georges Ferronnière, grosse caisse officielle de la fanfare nous précise que bien que représenté sur la pochette, il n'était pas présent lors de l'enregistrement :
"Dans ce disque, j'entends le tambour mais pas la grosse caisse. Il se pourrait bien qu'elle n'ait pas servi à cette occasion. Après mon départ, mais seulement après, c'est Cantal qui a pris ma place". Et à propos de Georges Ferronière, Nolo nous apporte un détail d'importance ! : "...Georges qui jouait de la grosse caisse très bien, car il était déjà musicien dans un groupe folklorique breton..."
Sur le reste, l'esprit est là, ce qui est bien l'essentiel.

FACE A FACE B
  • Le Dénicheur - L'Archimède(6)
  • Les Lavandières du Portugal
  • En revenant du Piémont
  • La Romance du 14 juillet
  • Les Patineurs
  • Père Dupanloup
  • Jean-Gilles, mon gendre
  • La Fanfare de Bagnolet
  • Marjolaine

Trompettes : René NAULLEAU (Nolo), Yann FRIOUX,
Cornet : Ballerini,
Bugle : Luc TEFFAUD (Jojo le Mérou),
Basses : Jean QUEINNEC (Toto), Christian QUILICI, Yann FRIOUX,
Trombone à pistons : Alterac,
Clarinettes : Guy DURAND, Pierre CHUDEAU,
Saxophones : Jean-Pierre PENEAU, Lengrand,
Flûtes : Laurentin, Jean-Luc PELLERIN,
Jazzoflûte : Poupin,
Hélicon : Pierric GAUDIN,
Caisse claire : Yves GAUDRONNEAU (Ptit Brun),
Tambour : Arnaud SAINT-LOUBERT-BiÉ,
Cymbales : Auxerre, Gilbert MASSON (chauffeur de la voiture)
Grosse caisse : absent ce jour-là mais habituellement : Georges Ferronnière.
Figurants : Aymard, Bouchaud (Fes-Roz), Sellier ("ne jouait que de la pipe dans le disque" dixit Nolo)

Nota : Jeanine DURAND dont l'effigie apparait sur la porte de la voiture était la sœur de Durand et la mascotte de la fanfare.


Le disque sort donc en 1960, sans référence, c’est un microsillon 45 tours de 20cm, format peu habituel plus grand que les 45 tours" normaux et porte le titre de « CARNAGE SUR LE DO ».
Il a été enregistré aux Studios Reflets à Nantes et pressé par Les Disques Pyral.

Ce disque n'a jamais été réédité.

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Face A et Face B du disque


Nous vous laissons ci-après l'opportunité de l'écouter en suivant ce lien : Écouter ce disque.

Notes :

(1) La Fanfare de Nantes ne sera appelée FANFARCHI qu'après le départ de Naulleau, parti à Paris en 1961. Ce dernier, d'ailleurs, intègrera l'atelier Leconte, jouera avec la Fanfare Honoré CHAMPION (deuxième du nom) puis avec Malaquais. (retour)

(2) J.P. Peneau est venu avec Naulleau à l’atelier Leconte et a joué lui aussi chez Honoré CHAMPION. Il a été longtemps directeur de l’école d'Architecture de Nantes (retour)

(3) Un film a été tourné depuis relatant un peu cette histoire: La Reine blanche, réalisé par Jean-Loup Hubert et sorti en France le 8 mai 1991. La distribution de ce film est importante : Catherine DENEUVE, Richard BOHRINGER, Bernard GIRAUDEAU, Jean CARMET et Muriel PULTAR dans le rôle de Mireille. La musique était de Georges DELERUE et La chanson du générique de fin est Mon Amant de Saint-Jean. (retour)

(4) Véronique FLANET "La Belle Histoire des Fanfares des Beaux-Arts, 1948-1968," Edition L'Harmattan (retour)

(5) Gaudronneau, dit Ptit Brun, était un spécialiste des pétards et fusées qu’il fabriquait lui-même. Il a, semble-t-il, failli faire sauter l’atelier. (retour)

(6) Nolo m’écrit : "Quant à "Archimède" c’est une valse "improvisée" composée spécialement … !!! Je viens d’essayer de l’écouter c’est un vrai CARNAGE, on ne peut même pas imaginer ...". Sans commentaires, nous vous laissons juge ! (retour)

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Affiche de la Reine Blanche.