"Tout ça ne vaut pas l'amour" - 1962 - Fanfare Léon MALAQUAIS

Publication Auteur
Avril
2016
Pierre-Edouard CALONI
dit " Calo "

Avec Tout ça ne vaut pas l'amour, Léon Malaquais signe son 6ème et dernier disque original chez Pathé. Ce sera aussi le dernier 25cm gravé par une fanfare des Beaux-Arts, une époque s'achève... De l'aveu de l'ensemble des Malaquais et de fanfaristes contemporains, ce sera aussi le meilleur de la fanfare, comme un bouquet final. Il faut dire que la Fanfare Léon Malaquais est là à son apogée, l'année 61 ayant été plus qu'intense grâce notamment à son fabuleux contrat à l'Olympia pour le spectacle Jour de Fête de Jacques Tati(1). A cette époque, Malaquais, c'est du béton, une machine ronflante à toute vapeur, une locomotive rythmique à toute épreuve.

Tout le monde est là pour cette séance, Trifloquet et Laridelle sont revenus, seul Blaire manque à l'appel, étant sous les drapeaux à Angers et qui ne pourra revenir que le deuxième jour pour contribuer à diriger la fanfare avec Day.

Le disque est enregistré un vendredi et samedi de février 1962(2) dans les studios de Pathé.

Bon nombre des morceaux enregistrés dans ce disque resteront dans les anales de la Fanfare des Beaux-Arts et pour certains deviendront des références "musicales". Ainsi, les versions et arrangements de Si vas à Calatayud, Brigitte Bardot, Le plus beau tango du monde, Tout ça ne vaut pas l'amour et, dans une certaine mesure Hit the road Jack, resteront longtemps au répertoire des fanfares de l'Ecole, je peux en témoigner pour les avoir jouer en y rentrant à la fin des années 70.

Lharidelle écrit(3):

"Maintenant, c'est le prochain enregistrement qui occupe le centre de l'actualité. La cadence des répètes s'accélère. Une chaque mardi, cochon qui s'en dédit. Avant, c'était aussi chaque mardi, mais il y avait toujours quelques cochons pour le faire, alors qu'à partir de maintenant, plus aucun. D'accord, on peut compter sur la formidable lancée de l'Olympia, mais il ne faut pas donner dans l'optimisme béat. Le programme du futur disque qui n'en est plus qu'à une poignée de semaines, fait l'objet de discussions passionnées. Les deux ou trois grands tubes, fruits du spectacle de Tati, ne se discutent pas. Il s'agit de la Marche de Saint-Sévère, de Tout ça n'vaut pas l'Amour et de Si vas à Calatayud. Pour le reste, tout le monde a sa proposition.

Jeff Leleu, déplâtré, veut à tout prix faire un tube du moment, Hit the Road Jack ce qui fait grincer des dents à plus d'un puriste. " Et pourquoi pas après le twist, les niaiseries d'un Louis Mariano?" ricane Léon, aux gouts toujours un peu orthodoxe. Mais Jeff tient bon et comme Trifloquet semble éprouver un certain plaisir à y proclamer, trompette au clair, que le bon tabac qu'il a, dans sa tabatière, y restera et que Marc Soler (el grandissimo Arturo Gropoumon) fait une performance des plus convaincantes à la contrebasse, la proposition est adoptée.

De son coté, Champris (Théodule pour les dames, Boitacleux pour les autres) tient beaucoup à une très jolie valse extraite du 45 tours ch'ti d'un musicien surnommé Tiss Gayette(4). Il s'agit de La Ducasse d'Auneau, qu'il joue si bien au trombone qu'on ne peut lui la refuser. Un autre propose une valse montmartoise, en l'honneur d'un peintre de la butte, Gen Paul, dont il a vu chez Paul Herbé, des dessins à la plume faits en 38 à Harlem. IL s'agit d'une collection de jazzmen, saisis d'un seul trait de plume, à la Paul Klee et que le maître ne renierait sûrement pas. Ce Valsez Jolies Gosses parait un peu mièvre à certains, mais on peut bien faire ce plaisir au vieil artisse. Bon.

Et à qui doit-on ce Brigitte Bardot ? est-ce à Monsieur Wlad, soucieux de ménager à son orgue à poires d'auto récemment parachevé, une entrée fracassante, ou a-t-il seulement fait preuve d'opportunisme sur le tas, on ne sait pas trop, tant les transactions sont confuses et passionnées.
Il est sûr par contre, que le Cafe Colon, un air de mariachis mexicains, est dû à l'obstination du couple de trompettistes Trifloquet-Lharidelle, qui depuis dix ans s'escrime sans grand résultat pour en inscrire un au répertoire.
Amsel Polka vient, elle, probablement de Mac Hulot qui en avait piqué depuis longtemps le 78 tours à son beauf. Mais on ne saura jamais à qui on est redevable du Plus Beau Tango du Monde...Il ne s'en est pas vanté.

Participeront à cet enregistrement historique, dans un studio de la Butte Chaumont, presque tous les piliers de la fanfare, à quelques exceptions notables et douloureuses près. Et d'abord, Ahmédée et Basso, tous les deux toujours retenus en Algérie. C'est peu dire qu'on aurait aimé qu'ils soient là pour participer aux réjouissances, enregistrement, avant, pendant et après. Mais le grand absent de ces deux séances d'enregistrement est incontestablement Honoré Champion, qui y participera bien en pointillé, ayant réussi à se dégotter une perm pour l'occasion, mais ni à la hauteur de ses mérites, ni de ses possibilités. Arrivé tardivement à la séance du vendredi, il reviendra le samedi matin, mais faute d'entrainement, préfèrera renoncer à jouer de la trompette et se contentera de diriger quelques passages délicats....

....La séance commence par une babiole, histoire de se mettre en jambes. Ce Valsez Jolie Gosse était prévu avec une intro du plus bel effet, jouée sur des bouteilles vides et accordées, mais les chœurs calamiteux des mirlitons est une mauvaise surprise. C'est Lharidelle Ainé qui tient ainsi à signaler un retour en force à la fanfare. On peut aussi incriminer, sans gros risques d'erreur, un Huchepot, coutumier de ce genre d'effet. Les deux promoteurs de cet air charmant, Deneux et Lharidelle jeune, un peu dépités, font contre mauvaise fortune, bon coeur.

1962_Fanfare-LEON-MALAQUAIS_Tout-Ca-ne-Vaut-pas l'Amour_Recto-pochette.jpg

Recto de le pochette

Le recto de la pochette est sans doute ce qu'il y a de moins réussi. En le regardant, on pense trouver là une jeune conquête d'un membre de la fanfare. Et bien non, de l'aveu de Michel Day, cette pochette a été lamentablement composée par Pathé et le modèle lui est totalement inconnue. Quelle déception !

Le verso est en revanche plus intéressant et décrit ce disque comme un opéra en trois actes et dix tableaux. Un opéra créé au Théâtre Jacques Haik(5) accueillant le Conservatoire National d'Opéra Bouffe(6), pure invention sorti du cerveau fertile de Michel Day.

1962_Fanfare-LEON-MALAQUAIS_Tout-Ca-ne-Vaut-pas l'Amour_Verso-pochette

Verso de le pochette

FACE 1 FACE 2
  1. A la Ducasse
  2. Hit the road Jack
  3. Kili watch / J’ai du bon tabac
  4. Amsel polka
  5. Valsez jolies gosses
  6. Si vas à Calatayud
  1. Marché de Sainte Sevère
  2. Café Colon
  3. Brigitte Bardot
  4. Le plus beau tango du monde
  5. Tout çà ne vaut pas l’amour
  6. Ah si vous voulez d’l’amour

Ont participé à ce disque :



Trompettes : Gilles Thin (Gaston Trifloquet), Alain Villeminot (Adrien Laridelle), Pierre Soulez-Larivière (Blaise Mac Hulot), Jacques Deneux (Milo), Gérard Mousseau (Moumousse), Christophe Rémy
Clarintte : Raymond Caubel (Yapakliss)
Trombone : Jean-François Leleu (Yapakloss Kikouliss), Caubel, Thierry de Champris (Boitacleux), J.M.Joly (Bobèche), Jacques Ivorra
Fifre : Jacques Dulieu (Fifrelin)
Basses :Michel Vincent (Léon Malaquais), Philippe Sicardon (Chichoune), Olivier Courcoux, Dominique Hertenberger, Marc Wassermann, Dominique Moufle, Tissier
Souba : Marc Solère (Gros Poumon)
Contrebasse à cordes : Jacques Ivorra
Batterie : Jo Cresp, Claude Marty
Grosse caisse : Jean-Jacques Fernier,
Orgue à poires : André Dunin (Wlad)
Vocalises : Denise Broche(7) et Leleu
Direction : Day et Blaire

Quelques photos prises par Laridelle lors de la séance d'enregistrement chez Pathé:


Chambris / Day, Leleu et Remy / Deneux-Dulieu-Hertenberger


Deneux, Leleu, Champris et Laridelle / Jo Cresp / Laridelle, Deneux, Day et Blaire


1962_Fanfare-LEON-MALAQUAIS_Leleu-Leon-Soulez-Hertenberger

Recto de la pochette du disque.

1962_Fanfare-LEON-MALAQUAIS_Denise-BROCHE


1962_Fanfare-LEON-MALAQUAIS_Laridelle-Mousseau-Tissier-Wassermann

Denise BROCHE / Laridelle, Mousseau, Tissier- et Wassermann

Soulez / Thin et Mousseau / Dunin

Question musique, je laisse à Blaire(8) à son exposé dithyrambique publié dans le n°14 de l'Amour du Bruit :

" Le meilleur disque enregistré par la fanfare Léon Malaquais, en février 1962, un vendredi et un samedi, probablement les 23 et 24 février. Témoin partiel de l’événement, puisque consigné dans ma caserne angevine le vendredi, j’ai réussi à arriver charrette le samedi alors qu’il ne restait plus que 3 morceaux à enregistrer. De toute façon, il ne pouvait être question pour moi de jouer avec les copains, n’ayant pas soufflé dans mon instrument depuis Juillet 61, et ne connaissant pas tous les morceaux du nouveau répertoire. Je me contentai donc de la baguette, histoire de dire : «j’y étais».

Je considère ce disque comme un document essentiel qui témoigne de manière indiscutable de la puissance et du niveau atteint par cette fanfare en 1962.
Forte de ses 58 représentations à l’Olympia au printemps précédent, cette formation magniquement rodée était devenue une machine de guerre redoutable et parfaitement au point. Machine de guerre d’ailleurs à laquelle n’ont pas résisté les micros de la Maison Pathé, abrutis par les décibels Malaquaisiens dans le somptueux final de la piste 10, que nous jouions chaque soir sur les marches du Hall de l’Olympia après le spectacle.

Dix pistes au programme. Ecartons tout de suite les pistes 1 et 9 (Ducasse d’Auno et Le plus beau de tous les tangos du monde) d’un moindre niveau.
La piste 2 «Hit the road Jack», air popularisé à l’époque par Ray Charles est brillamment emmené par la batterie de Claude Marty, fameux batteur de Jazz et néanmoins architecte, qui nous offre une séquence de 8 mesures en solo absolument somptueuse. Quelques variations dont «J’ai du bon tabac» histoire de changer, le tout emmené avec un swing vigoureux qui a dû faire pâlir certains concurrents de l’époque (des noms, des noms !! ). Amsell Polka, devenu un standard de l’Ecole après que Champris et Blaire l’aient sournoisement relevé sur un vieux disque de Laridelle (pendant le service de celui-ci !) puis arrangé de mémoire dans le train d’Albi le lendemain en se rendant chez Chichoune, fin août 60.
Morceau très enlevé bien que trop rapide. Valsez Jolies Gosses, avec une intervention surréaliste de Leleu se gargarisant au Kiravi tout en chantant l’air. On y entend aussi la voix de Denise. Calatayud, gros succès appris dans les loges de l’Olympia grâce à Léon, super enlevé, avec une magnifique reprise au ralenti (mais dans le tempo) sous la houlette d’un Trifloquet impérial à la trompette, comme d’habitude !

En face 2, l’air de la fanfare de Ste Sévère, ronflant comme aux plus beaux jours. Un regret personnel : pourquoi n’avoir pas joué les 2 autres airs principaux du film ? Cafe Colon, un des meilleurs morceaux du disque, avec Dulieu en vedette au fifre qui fait des reprises vigoureuses, ainsi que Champris au trombone, et les duettistes Trifloquet et Laridelle en super-forme.
Brigitte Bardot, fallait oser, eh bien ils l’ont fait ! Et de quelle manière ! Sur ce thème à la con de Dario Moreno, ils ont joué un truc absolument décapant et très brésilien d’esprit !
Quant au final, ce pot pourri sur la base de Tout ça n’vaut pas l’Amour rendu célèbre dans le hall de l’Olympia, dommage que les ingénieurs du son n’aient pas corrigé cette saturation qui gâche un peu notre plaisir ! C’est, en dehors de ça, absolument somptueux, grandiose, et tout à fait à l’échelle de cette magnifique fanfare à laquelle j’étais si fier d’appartenir.
Ce disque, à écouter sans modération, reflète non seulement l’extraordinaire niveau atteint par la fanfare Malaquais en moins de deux ans, mais également, la complicité merveilleuse qui régnait parmi cette bande de copains (moyenne d’âge 25 ans), follement heureux de jouer ensemble et de recréer l’esprit de l’Olympia sur ces 10 pistes. J’en ai encore la chair de poule !

Bravo Léon, c’était de la belle ouvrage !
Honoré "



Vu dans le Bulletin de la Grande Masse courant 1962 :

1962_Extrait-Bulletin-GMBA_Fanfares.jpg

1962 - Extrait d'un Bulletin GMBA



Les auteurs de cet article ne croient pas si bien dire: On retrouve ainsi nos Malaquais (Day et Wlad), quelques années plus tard en voyage d'étude musicale, incognitos mais en maillot rayé, lors d'un concert du jeune Johnny HallIday. On notera tout de même qu'ils préfèrent regarder le public que la scène :

Fanfare_LEON-MALAQUAIS_Day-Wlad.jpg

Day et Wlad - Concert Johnny HallydayRecto de le pochette



Le disque sort donc en 1961 sous le label PATHE ST 1158 , c’est un microsillon de 25cm, 33 tours et porte le titre de « TOUT CA NE VAUT PAS L'AMOUR».

Il a fait l'objet de multiples rééditions, mélangé aux autres disques de Malaquais (9).



Ecoute


Les droits de ce disque étant la propriété de la société EMI ayant racheté les droits de Pathé-Marconi, nous ne pouvons vous diriger par un lien pour l'écouter. Nous ne doutons pas que vous saurez à qui vous adresser pour en avoir connaissance. On le trouve en mp3 sur l'internet:



Notes

(1) 58 représentations au printemps 1961 à l'Olympia, quelles fanfares peuvent se targuer d'une telle prestation ? (retour)





(2) Les 23 et 24 dixit Blaire, soyons précis....mais le 29 nous écrit Day sur le verso de la pochette... (retour)

(3) Histoire Edifiante et Véridique de la Grande Fanfare Malaquais. Adrien Lharidelle & Co - Editions Lulu.com (retour)

(4) Vous trouverez aussi la version originale de Tiss Gayette ici: http://www.amazon.fr/La-ducasse-dAuno/dp/B00LA05GJY A l'occasion d'une réédition de ce fameux 45T dans les années 70, il s'appellera Jo Gallopin, chez Visadisc. Jo Gallopin était aussi tromboniste... (retour)

Pochette_Le-Pti-Quinquin.jpg

Pochette : Le Pti Quinquin

(5) Jacques Haik était producteur de cinéma et le premier à avoir importé les films de Charlie Chaplin pour lequel il crée le nom français de Charlot. Né en 1893, il débarque à Paris à 13 ans et, vite intéressé par le cinéma fonde, la société de production qui porte son nom et qui aura l'exclusivité des films de la Warner Bros, Columbia et Universal. Il est surtout connu pour être le fondateur du cinéma Le Grand Rex qu'il construisit en 1932 et inaugura avec son ami Louis Lumière. Auparavant, dans les années 20, il avait racheté l'Olympia qu'il avait reconstruit et sur le fronton duquel il avait apposé le nom de "Théatre Jacques Haik". Nul doute que Michel Day fait ici allusion à la longue prestation des Malaquais à l'Olympia l'année précédente. (retour)

(6) Conservatoire inventé par Michel Day. (retour)

(7) "Denise, toute l’école la connaissait. Elle posait comme modèle dans les ateliers de peinture. Elle avait un franc-parler inimitable qu’elle exprimait souvent d'une voix retentissante avec un accent parigot très faubourien quand quelqu’un l’emmerdait. Dans les années cinquante, il était fréquent qu’on l’entende nous demander : »T’as pas cent balles ? » et t’avais pas intérêt à l’envoyer promener ! Forte personnalité, elle chantait (rarement hélas !) les chansons du répertoire de Berthe Sylva, de Frehel ou de Damia de manière ravissante, contrastant fortement avec ses coups de gueule légendaires. Il fallait l’entendre chanter les Roses Blanches ou « L’Hiver dans les bois, les oiseaux meurent de froid ». C’était superbe et émouvant. Elle s’est mariée avec Broche, un ancien de chez Lemar." (Blaire) (retour)

(8) Louis-René Blaire, dit Honoré Champion, qu'on ne présente plus et que je remercie pour sa contribution documentaire. (retour)

(9) Une rubrique du "Disque du mois" sera consacrée à l'ensemble des rééditions des disques de Malaquais. Celles-ci étant effectivement des mélanges plus ou moins respectueux des disques d'origine, il ne peut être question de la réédition de tel ou tel disque. (retour)