« Poète et Paysan » - Aimé VISCONTI et sa fanfare des Beaux-Arts
Production Visconti - ETA 123 - Microsillon 17cm, 45T - 1965

Publication Auteur
Novembre 2018
Pierre-Edouard CALONI
dit " Calo "

Ce disque a été enregistré par la fanfare Aimé Visconti après le concours de fanfare de 1965. A l'époque, le concours de fanfare était organisé afin de nommer la fanfare qui jouerait au gala de l'École des Beaux-Arts. Le concours avait donc le même thème que celui du gala, cette année-là, le thème était : 1865.

L'atelier Lamache n'avait pas vraiment de fanfare et décida, à cette occasion, de monter une fanfare officielle. Celle-ci, dans la grande tradition des fanfares des Beaux-Arts, prit le nom de la rue où était situé l'atelier, Visconti, auquel fût adjoint le prénom d'Aimé.
« ...Nous cherchions, à l'époque un prénom désuet pour l'associer à Visconti qui lui se nommait " Joachim Visconti "... »

« Un peu d’histoire…
Au commencement, à la rentrée scolaire 1963, nous étions peu à jouer à l’atelier. Les instruments circulaient de l’un à l’autre (la plupart étaient à moi), il n’y a pas eu véritablement de fanfare Lamache constituée avant 1965. Cette année-là, la Grande Masse, sur proposition du Gros Day, n’ouvrit le concours qu’aux fanfares d’atelier homogènes exclusivement.
Jusque-là, nous jouions avec les Bonaparte, alors fanfare des peintres, et avec Otello pour le concours 1964.
Mis en demeure, Arbousset forma une fanfare locale... Quoiqu’il en soit, nous avons gagné à la surprise générale (ex aequo ou pas, personne n’en est sûr). Nous avons eu du mal à meubler, au gala, avec notre répertoire ! »
Dominique Poirier


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Recto de la pochette.


Sur l'histoire de la fanfare, Arbousset confirme :

« Aimé Visconti, première fanfare de l'atelier Lamache, a été créée en 1963 par Dominique Poirier, véritable germanopratin habitant de la Rue Visconti, et moi-même, en 1963.
Jusqu'en 64 le personnel de la fanfare fut assez limité, nous apprenions à nous servir d'instruments en cuivre dont aucun d'entre nous à part Poirier ne connaissait l'usage.
Avec l'arrivée dans le groupe de JP Marchand, Kalligas, Bouche, Camion, Millat et bien d'autres, la formation s'étoffa. Nous pûmes alors participer aux concours de fanfares de l'École.
Afin de nous démarquer du répertoire traditionnel instauré par les Malaquais je pris l'initiative audacieuse (!) de choisir pour les concours des morceaux plus originaux :
  • Ouverture de Poète et paysans de Suppé en 1965
  • Ouverture d'Orphée aux enfers d'Offenbach en 1966
  • La danse du sabre de Katchaturian en 1967
Des arrangements simples et efficaces complétés par une mise en scène et des costumes grandioses nous permirent de remporter ces 3 concours successifs. Mai 68 arrivant, les fanfares d'atelier, jugées "ringardes" stoppèrent leur activité pour un temps dans la plupart des ateliers. Aimé Visconti connut le même sort...
Le seul enregistrement existant est effectivement le 45 tours que tu présentes enregistré en 1965 dans un studio proche de Montparnasse, après notre premier concours gagné. »


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Les Visconti arrivant au concours 65


« Lors du Concours, "Les Lamache-Visconti se présentèrent « vêtus d'une cuirasse de grillage couverte de fleurs fraîches achetées le matin même au Marché aux fleurs » tout proche de l’École et interprétèrent « un modeste arrangement de l'ouverture de Poète et Paysan de Frantz Von Suppé musicien bien contemporain » de cette fin du XIXème siècle...

La prestation des Leconte avec sa mise en scène élaborée aurait fait entrer la scénographie dans le concours de fanfares et aurait ainsi marqué l’histoire de ce concours, estime Jacques ARBOUSSET. Les Visconti et Honoré Champion seraient arrivés ex-aequo, tandis que d’aucuns disent qu’Honoré Champion aurait gagné... »
Véronique FLANNET(1)


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Les Visconti sur scène - Concours 65


Blaire qui faisait partie du jury, raconte dans son livre(2) :

« En 65, a lieu dans la cour de l’École un superbe concours de fanfare. Philippe MOLLE, Grand Massier cette année-là, nous a demandé à Callot et à moi de faire partie du jury. La Fanfare Callot ne participe donc pas. Trois fanfares dominent le lot : celle de Nantes, déguisée en bleu horizon, défile bélier en tête ; les Leconte avec une très grosse formation, font un magnifique spectacle de corrida au milieu duquel Boitacleux, à qui il est désormais interdit de souffler dans un instrument, incarne un superbe torero. Il y a même un faux cheval avec un picador, et un faux taureau ! Tous sont en habit de lumière. La fanfare joue magnifiquement sur un arrangement de Vitry, l’ouverture de Carmen ! Il fallait oser, avec ses modulations savantes, et ça sonne superbement. Ils jouent également Le Beau Danube Bleu, partition difficile elle aussi. Pas de doute, les Leconte ont mis le paquet. Est-ce une raison pour les préférer aux Lamache, plus modestes, déguisés en bouquets de fleurs, qui nous exécutent un superbe Poète et Paysan ? J’hésite avant de voter. J’ai encore en mémoire le jury de 58 qui n’avait pas donné la préférence à la démonstration de force des Malaquais, et avait favorisé une petite formation débutante de chez Leconte...C’est peut-être ce souvenir, plus le fait que je ne voulais pas qu’on m’accuse d’avoir favorisé mes copains Leconte qui a fait pencher ce jour-là ma balance personnelle pour les Lamache dont j’avais, il faut bien le dire, adoré la musique sophistiquée et tonique. Toujours est-il qu’à une voix de majorité, les Leconte furent déclarés vainqueurs... Je me pose encore la question de savoir si j’ai bien fait. Je crois que oui dans la mesure où cette fanfare Lamache a fait ses preuves par la suite... Molle qui avait voté pour les Leconte trouvait que leur démonstration était nettement plus “École” ! Il n’avait pas tort non plus, à sa manière... »
De mémoire de tous ceux qui ont vu ce concours, celui-ci fut très beau et le premier à vraiment faire la part belle à la mise en scène.


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Les Visconti au concours 65


L'enthousiasme des jeunes membres de la fanfare est évident, Guy FICHEZ(3) :

« ...Comment l’option de l’ouverture de « Poète et Paysan » de Frank Von SUPPE fut retenue ?(4) ...Arbousset se mit au travail et nous mitonna une partition de derrière les fagots, toujours en lettres de l’alphabet écrites mais avec toutes les pauses, les accentuations de son cru et les nuances idoines, de « Andante Maestoso » et Allegro jusqu’à Allegretto sostenuto. Les répétitions commencèrent...

...Vint notre tour ; nos entrailles étaient nouées.
Camion démarre ; il a un peu de mal à réduire le brouhaha, mais nous arrivons à commencer dans un silence relatif. Premières notes, et au bout d’une ou deux mesures, nos acolytes dûment couverts de fleurs derrière nous, déploient la première banderole : « ANDANTE MAESTOSO » ; premières rumeurs flatteuses dans l’assistance ; nous poursuivons notre représentation jusqu’au mouvement et à la banderole suivante : « ALLEGRO ». Nous arrivons enfin au final, « Allegretto sostenuto », cadence que nous avions remplacée sur la banderole par un fier : « CHARETISSIMO » !!

Sur le champ, le tohu-bohu montant des spectateurs nous a fait connaître ce que pouvaient ressentir les professionnels du spectacle quand ils font un malheur.
C’était d’ores et déjà gagné. Il nous suffisait alors d’aller comme sur un nuage jusqu’aux pompeux accords finaux, enchaînés sur une clameur inouïe... »


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Charretissimo - Les Visconti au concours 65

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Un Lamache, au fond, la Fanfare de Nantes

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Prestation des Leconte (Honoré CHAMPION)(5)

C'était donc gagné... ou presque. Ainsi donc, on ne connait pas le vainqueur. De mon côté, j'ai toujours entendu dire que les Visconti avaient gagné. Il est vrai que j'étais chez Lamache... Les Visconti ont par ailleurs gagné les concours 1966 et 1967. Ce qui est certain, c'est que les Visconti jouèrent au Gala !


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Ticket d'entrée au gala

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Affiche du gala

Mais revenons au disque. Philippe MILLAT et Dominique POIRIER racontent à peu près la même histoire, mettant en scène la Paroisse de Maison Lafitte qui... subventionna le disque :

« ...Mon frère ainé était en 1965, responsable des mouvements de jeunes sur la Paroisse de Maisons Lafitte. A ce titre il coordonnait la préparation de la kermesse annuelle, et dans l’euphorie de la victoire d’Aimé VISCONTI au concours de Fanfares, il s’était mis en tête de nous engager pour une parade et de réaliser un disque qui serait vendu à cette occasion. Je ne suis pas certain que le succès des ventes leur ait permis de couvrir l’investissement.
Je crois me souvenir que le dessin a été fait par un peintre de la Fanfare Bonaparte et l’impression de la pochette a été réalisée sur une presse à linogravure ou lithogravure dans leur atelier. Ensuite pliée/collée par des petites mains Rue Visconti... »
Philippe Millat
Philippe MILLAT est revenu vers moi récemment avec quelques détails complémentaires :
« Ma famille habitait Maisons-Laffitte (ce qui leur valut le supplice des répétitions de l’hymne de SERAPION dans leur jardin) ! Mon frère ainé, amateur de fanfares, et responsable paroissial d’un groupement de mouvements de jeunes eut l’idée de nous inviter pour animer une kermesse. L’année suivante c’était Hugues AUFRAY. Il pourrait, là-dessus t’en dire plus que moi. Et comment la pochette fut fabriquée : comme dit Dominique, gravée et imprimée sur une grande presse ad hoc, dans une atelier gravure de l’école, puis découpée, assemblée et collée à l’atelier et chez moi. »
Il est sûr qu'Hugues AUFRAY a dû avoir du mal à supporter la comparaison...

« ...Pour ce qui est du disque, il a été enregistré dans la foulée, aux frais de la paroisse de Maison Lafitte, à laquelle Philippe MILLAT avait fait miroiter un gros bénéfice pour leur kermesse (les pauvres !)
Le prologue en gazouillis est de Camion, le solo de flûte avant la valse est de Goutet, tuba-flûtiste des Bonaparte qu’on avait rencontré au bistrot en allant enregistrer. Ça se passait comme ça à l’époque, dans l’improvisation générale, j’ai moi-même rajouté quelques tagadas-tagadas dans le disque d’Otello un peu plus tard sur un coup de hasard comparable.

Le Laocoon ne porte pas de coiffure, mais mon frère, Jacques Poirier, qui avait fait peinture à l’école et avait son atelier au 24 rue Visconti, trouvait que ça faisait plus beaux-arts avec un casque de pompier.
Comme je te l’ai dit, Millat a gravé ça sur du lino et fait les tirages dans un atelier de l’école, je pense, il faudrait le lui demander.
Je pense qu’il y a eu quelque chose comme 500 exemplaires pressés.
Les partitions pour poète et paysan étaient, pour les basses au moins, écrites en « hiéroglyphes pistons » la plupart ne connaissaient même pas le nom des notes sur l’instrument et n’auraient pas joué la petite Charlotte d’oreille. »
Dominique POIRIER


FACE A FACE B
  • Ouverture de Poète et Paysan
  • Gracieuse Polka
  • Tyroler Waltz
  • Si vas a Calatayud

Trompettes : Dominique POIRIER, Axel MESNY, Jean-Pierre CAMION,
Alto : Jacques ARBOUSSET,
Clarinette : Jacky BOULET,

Trombones : Jean-Pierre MARCHAND, Arnaud PUVIS de CHAVANNE, Yves MASMONTEIL,
Trombones à pistons : Philippe MILLAT, Jean-Louis SCHMIDT,
Basses : François BOILLAT, Dien N’GUEN, Guy FICHEZ, Henri SCHAAK, Joël MAUGIN,
Hélicon : Philippe MILLAT,

Caisse claire : Paul CALLIGAS (Kaligas),
Grosse caisse : George BOUCHE, Jean-Pierre FAU.

Musicalement, on retrouve donc bien-sûr l'Ouverture de Poètes et paysans support musical de la prestation de la prestation d'Aimé Visconti. Associé à ce dernier, trois morceaux du répertoire traditionnel avec notamment un Si Vas a Calatayud dont l'interprétation montre une réelle maîtrise pour une fanfare aussi jeune.

La pochette dessinée par Jacques Poirier est inspirée du Laocoon. "Le groupe du Laocoon" est une sculpture grecque antique conservée au musée Pio-Clementino au Vatican. Elle représente le prêtre troyen Laocoon et ses deux fils attaqués par des serpents, scène décrite notamment dans l’Odyssée et l’Énéide. C'est l'une des œuvres les plus représentatives de l'art hellénistique.
La pochette n'a pas de verso.


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Groupe du Laocoon au Vatican et le dessin, à droite, de Jacques Poirier où le Laocoon porte un casque et la tête du serpent la forme d'un pavillon.

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Le macaron du disque montre clairement que nous ne sommes pas dans une maison de disques...


Le disque sort donc en 1965, sous la référence ETA 123, c’est un microsillon de 17cm, 45 tours et a été édité en 500 exemplaires.
Chaque disque été numéroté par la présence d'un coupon. (Ci à droite.)

Ce disque n'a jamais été réédité.
Nous vous laissons ci-après l'opportunité de l'écouter sur ce lien.

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Coupon numéroté

Notes :


(1) "La Belle Histoire des Fanfares des Beaux-Arts, 1948-1968", Véronique FLANNET - Edition L'Harmattan. (retour)

(2) "Souvenirs Cuivrés - Musiques aux Beaux-Arts", Louis-René BLAIRE - Edition Lulu.com (retour)

(3) "Le Cru des Beaux-Arts, Récoltes 64 et suivantes", Guy FICHEZ - Edilivre
Je remercie Guy FICHEZ pour le prêt de l'ensemble des photos illustrant cette rubrique.
Les photos en couleur ont été prises par Gilles Le GALL du TERTRE, ancien de l'atelier Lamache. (retour)

(4) Poète et Paysan de Franz Von SUPPÉ (1819-1895) fut composé en 1846. (retour)

(5) Comme le raconte Blaire, les Leconte jouèrent l'ouverture de Carmen. Vous pourrez écouter cette version dans un enregistrement saisi lors d'une répétition. Merci à Blaire pour le prêt de ce document sonore que vous pourrez écouter à l'adresse suivante. (retour)

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Couverture du livre de Guy FICHEZ.